3. Affrontement

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Au moment où le pommeau de l'épée allait frapper le Normand, Alinor sentit une force colossale la propulser vers l'arrière. Elle recula avec précipitation et faillit s'affaler sur le sol. Heureusement, elle put se retenir de la main gauche au dossier du siège tout proche. Comprenant que le baron s'était réveillé et avait dévié son coup, la jeune femme se prépara à défendre chèrement sa vie. Elle se mit en garde, leva les yeux sur son adversaire et se pétrifia. Le Normand était faiblement éclairé par le rougeoiement des braises, mais c'était suffisant pour qu'elle puisse l'observer. Elle ne pouvait détacher son regard de son corps.

Le sommeil de Gautier avait été perturbé par un bruit léger. Un son ténu, semblable à un gémissement. D'instinct, il avait perçu une présence dans la pièce et s'était contraint à ne pas réagir. Il avait fait attention de maintenir sa respiration sur le même rythme tout en se concentrant pour écouter. Il avait tendu l'oreille pour essayer de déterminer la position de l'indésirable et la nature de la menace.

Un bruissement lui apprit que l'espion se rapprochait. La paillasse se creusa de manière presque imperceptible et il comprit que le corps de l'intrus touchait le rebord gauche du lit. Un souffle infime sur sa poitrine lui apprit que son adversaire se tenait quasiment au-dessus de lui. Quand il sentit la respiration de son assaillant s'accélérer, il sut que celui-ci s'apprêtait à frapper. Aussitôt, il ouvrit les yeux tout en abaissant son bras pour protéger sa gorge et le haut de son torse. En même temps, il détendit l'autre bras et écarta violemment son attaquant. Il le repoussa du plat de la main en roulant sur le côté. Puis, sans perdre un instant, il rejeta les fourrures, jaillit du lit et se posta face à son agresseur.

Gautier ne voyait qu'une forme indistincte, car la pièce était sombre et son ennemi tournait le dos aux faibles lueurs de la lune et du foyer. Il plissa les yeux pour mieux évaluer son opposant. L'homme était d'assez petite taille par rapport à lui et de constitution frêle, même s'il était difficile de se faire une idée de sa musculature, car un vêtement long le couvrait jusqu'aux pieds.

« Ce sottard ne sait-il pas qu'une cape est une gêne dans un combat rapproché ? Sûrement un jeune mercenaire qui ne doit pas avoir une grande expérience ! » pensa-t-il.

Sa nudité n'embarrassait pas Gautier outre mesure. En revanche, le fait d'être désarmé, alors que son adversaire avait une lame à la main, le préoccupait davantage. Surtout que sa propre épée se trouvait derrière son assaillant.

Alinor eut le souffle coupé quand elle vit le Normand lui faire face. Il était baigné par les lueurs de l'âtre situé derrière elle, si bien qu'elle pouvait distinguer son expression. Et ce n'est pas son air féroce qui la déstabilisa, mais son corps...

« Oh, mon Dieu ! Il est entièrement nu ! »

Elle était guérisseuse et ce n'était pas la première fois qu'elle voyait les attributs d'un homme. Mais jusqu'à présent, elle ne s'était jamais retrouvée face à face avec un aussi beau spécimen, en bonne santé et doté d'un tel corps. Stupéfaite par sa découverte, la jeune femme le fixa de ses yeux écarquillés et se figea pendant une fraction de seconde, oubliant de respirer. Temps que le Normand mît à profit pour renverser la situation à son avantage. Il plongea sur son adversaire et abattit son poing sur la main qui tenait l'arme. Alinor, surprise par la rapidité de l'attaque, ne vit pas le coup arriver. Elle ressentit le choc sur son poignet et la douleur fusa instantanément dans son avant-bras, lui faisant ouvrir les doigts. Elle entendit le bruit de son épée heurtant le sol et, simultanément, elle se sentit à moitié soulevée, à moitié tirée vers l'avant. Le chevalier avait enchaîné en attrapant son bras désarmé, puis avait volté en le lui tordant pour la propulser en avant vers la couche qu'il venait de quitter.

Sans lui laisser le temps de se relever, il s'abattit sur elle et lui serra la gorge. Alinor s'efforça de retrouver son souffle pendant quelques secondes, mais n'y parvenant pas, elle porta les mains à son cou et essaya de desserrer la poigne qui l'étouffait. Gautier observa son agresseur à la lueur du rayon de lune qui tombait sur le lit. Quelle ne fut sa stupéfaction en découvrant que c'était la fille du seigneur de Thurston qui avait voulu l'occire ! Aussitôt, il relâcha sa prise.

« Ventredieu ! »

Il s'était fourvoyé ! Ce qu'il avait cru être une cape était en fait un vêtement de femme ! Son assaillant n'était pas un jeune mercenaire maladroit, mais une donzelle vindicative ! Pourquoi Alinor avait-elle tenté de l'attaquer pendant son sommeil ? Et comment avait-elle pu entrer dans sa chambre, sans qu'il l'entende, alors que la porte était barrée ?

Gautier n'eut pas le loisir de s'interroger davantage, car ayant retrouvé son souffle, Alinor le poussa avec rudesse aux épaules. Profitant de sa surprise, elle se dégagea prestement. Elle sauta hors du lit, chercha fébrilement des yeux sa lame, mais ne la trouva point. Galvanisée par la peur, elle traversa la pièce et se jeta sur l'épée de son frère Edwin accrochée sur le manteau de la cheminée. L'arme en main, elle lui fit face.

Gautier comprit qu'il ne s'agissait pas d'une plaisanterie et que cette furie avait vraiment l'intention de lui faire un mauvais parti. Il plongea en avant et saisit son épée posée contre le mur. Il eut juste le temps de la tirer hors de son fourreau avant de parer l'attaque d'Alinor. Celle-ci enchaîna plusieurs mouvements qu'il se contenta de contrer. Pendant qu'il parait et rompait sous les assauts de la jeune fille, il essayait de réfléchir à la situation.

Il était furieux contre elle. Après avoir tenté de le séduire pour lui faire endosser la paternité de son bâtard, voilà qu'elle voulait l'occire ! Il n'imaginait pas non plus qu'elle fût capable de mettre en péril son enfant en se battant à l'épée. Ce n'était pas cohérent ! Il s'était probablement fourvoyé. Peut-être qu'il n'y avait pas de bébé en définitive et que son but depuis le début était de l'éliminer ? Comme la ruse n'avait pas fonctionné, elle adoptait une tactique plus directe, mais beaucoup plus risquée ! Pourquoi chercher à le tuer maintenant ? Elle avait changé de comportement depuis peu... En fait, depuis qu'il l'avait aperçue régulièrement en compagnie de Lawrence ! Son amant saxon était-il à l'origine de tout ceci ?

Désirant en avoir le cœur net, il l'apostropha d'une voix dure :

— C'est Lawrence qui a eu cette idée ?

En bon guerrier, Gautier savait décrypter les expressions et le langage corporel de ses adversaires. Il vit la Saxonne se raidir, puis un éclair de panique traversa fugacement son regard.

— Non, non ! Il n'y est pour rien !

— C'est lui qui vous incite à m'éliminer, Alinor ? Il fait pression sur vous ?

— Nooooon !

— Si ce n'est pas Lawrence, alors qui vous manipule ainsi ?

La jeune fille ne voulait pas entraîner des innocents dans sa chute au cas où elle échouerait dans sa mission. Craignant que l'ire du baron ne se retourne contre Lawrence ou les gens de Thurston, elle se dépêcha de le détromper entre deux attaques.

— Personne ! Je suis seule responsable de mes actes. Personne d'autre n'est à blâmer !

Les deux combattants se turent et se focalisèrent sur leurs mouvements. Alinor était très troublée de voir le Normand dévêtu et elle avait beaucoup de difficultés à faire abstraction de sa nudité. Elle ne réussissait pas à se concentrer suffisamment. C'était la deuxième fois qu'elle ne saisissait pas l'occasion de s'engouffrer dans une ouverture de la garde de son adversaire qui aurait pu lui permettre de prendre l'avantage.

Après quelques passes d'armes, Gautier devint de plus en plus perplexe. C'était vraiment étrange ! La Saxonne ne portait pas ses coups avec la volonté de le tuer. À première vue, elle cherchait juste à le désarmer ou éventuellement à le blesser, mais elle semblait désespérée. Ses mouvements étaient saccadés, ses déplacements n'étaient pas fluides. Il avait déjà eu l'occasion de se battre avec elle à plusieurs reprises, que ce soit à l'entraînement ou en combat réel à son arrivée à Thurston, et jamais elle ne s'était montrée aussi maladroite. Il y avait là un mystère qu'il devait éclaircir, mais auparavant il devait neutraliser la Saxonne. Il fallait mettre un terme à ce combat. Ils régleraient leurs comptes après. Tudieu ! Il ne pouvait pas la meurtrir encore une fois ! Même s'il était en colère contre elle, même s'il lui en voulait de l'avoir abusé et d'être une fille légère, il ne souhaitait pas lui faire de mal.

Combat d'Amour-Tome 2 [Editions AdA avril 2019 - autoédition 2023]Where stories live. Discover now