Chapitre 24, partie 1

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Elle se racla la gorge avant de lancer avec ironie :

« – Alors mon vieux, on ne dit plus bonjour à ses vieux ennemis ? »

Kikoolol releva les yeux, fixés sur Lina, et soupira.

« – Bonjour. Vous devez sûrement vous demander pourquoi je vous ai aidé, et pourquoi vous avez vos armes...

– Eh bien ça me semble évident qu'on se pose la question. Aux dernières nouvelles, tu as tranché la gorge de Lina, que je sache. »

Baku hocha la tête, l'air d'accord avec les paroles de Phila. Et Kikoolol soupira de nouveau, en ressortant sa main de sa manche. Une main qui semblait tout à fait normale. Lina plissa les yeux. Décidément, elle comprenait de moins en moins.

« – C'est une très longue histoire, qui commence par deux questions assez simples.

– Eh ben vas-y, balance, grogna Lina. Vite, j'ai pas que ça à faire et cet endroit me file les chocottes.

– Mairù, hein ? Soupira Kikoolol. Je crois que c'est bien le seul qui a réussi à te faire peur. Mais passons. Première question, que pensez-vous savoir de moi ? »

Lina se tut. Elle se contenta d'écouter les autres raconter ce qu'ils savaient, de la plus succincte au plus long discours. Elle écouta Akai expliquer brièvement ce qu'elle avait entendu, Corbeau raconter une longue histoire, Baku cracher son venin aussi violemment que possible. Et Kikoolol se taisait. Il les écoutait, l'un après l'autre, avec un regard désolé à l'adresse de Corbeau et un, plus compatissant, à celle de Baku. Ce dernier serra les dents, et attrapa la main de Lina entre ses doigts, avant de la presser à intervalles réguliers, comme elle l'avait vu faire avec ses morceaux de pâte à mémoire, conçues pour diminuer son stress. Elle soupira, et accompagna doucement les pressions, jusqu'à ce qu'il se calme.

Kikoolol pinça ses lèvres, et continua d'écouter les récits des autres. C'était maintenant Phila qui parlait.

« – Ce que je sais ? Que tu nous as attaqués à plusieurs reprises, que tu es responsable de la mort de pas mal de mondes, dont, indirectement, d'une des générales, que tu as manqué de tuer Lina... Tout ce joli bordel, quoi. »

Kikoolol soupira.

« – Manquer de tuer Lina, ce que j'ai le plus regretté de toute ma vie... Ma deuxième question sera plus... Vague. Est-ce que vous vous souvenez de votre premier meurtre ? »

Baku pâlit, et se remit à presser les doigts de Lina à intervalles réguliers. Cette dernière tenta de se concentrer sur la pression. Mais rien à faire. Lorsque Kikoolol avait prononcé les mots « premier meurtre », son esprit s'était fixé à ce jour-là, son dernier jour dans les rues de Londres.

Son premier meurtre. Oui, elle s'en souvenait.

C'était ce moment où elle rentrait du collège pour aller à son orphelinat, après avoir été collée, prenant un raccourci dans l'espoir d'arriver à temps pour son entraînement au combat. Un raccourci dans les ruelles de Londres. Idée du siècle, pas vrai. Surtout pour une jeune fille de treize ans, incapable de savoir que ce genre de ruelles grouillait de gens très mal intentionnés qui la verraient comme une proie.

Depuis son enfance solitaire, elle gardait toujours un petit couteau dans sa poche, un canif, pour pouvoir se défendre en cas de besoin. Elle en avait souvent eu besoin, et ce jour-là elle n'avait jamais été aussi contente de le sentir dans sa poche. Elle avait pu ainsi se défendre pendant longtemps contre la bande de types souriants qui l'avaient accostée et tenté de la traîner dans un endroit encore plus sombre.

Elle en avait blessé un, mis hors combat plusieurs autres, se défendant avec ses poings, ses pieds, son canif. Mais ils étaient trop nombreux. Et elle n'avait que treize ans.

Elle se souvenait de celui qui lui avait bloqué les bras, de ceux qui l'avaient bombardée de bouteilles d'alcool avant de la forcer à rouler au sol, créant ces marques indélébiles dans son dos. Elle se souvenait de la douleur qui avait petit à petit pris pas sur son cerveau alors qu'ils passaient ses mains sur son corps, cherchant à retirer ses vêtements. Elle se souvenait de son dernier recours, quelque chose qu'elle s'était promis de ne pas utiliser sur Terre, ses dons, sa métamorphose, qui lui avait valu tant de regards étranges et de coups à l'orphelinat. Et elle se souvenait de son réveil, dans les plaines de Wattpadia, les vêtements déchirés, recouverte de sang et de boyaux, sa main serrée sur le cadran de sa montre.

Elle avait compris, plus tard, que la douleur combinée à l'utilisation de magie lui avait fait perdre le contrôle de ses dons. Et que la montre qui se trouvait à son poignet était en fait une montre spatio-temporelle, dont la provenance restait inconnue. Contenant un mécanisme d'urgence qui, sentant la magie partir dans tous les sens, l'avait propulsée à Wattpadia, laissant derrière elle les corps des hommes.

Elle secoua la tête, se concentrant de nouveau sur Kikoolol. Ses meurtres n'avaient rien à voir avec cette histoire, elle le savait très bien. Elle voulait juste comprendre l'histoire de Kikoolol. Pas exposer la sienne.

Les autres, à ses côtés, affichaient sensiblement la même tête. Akai soupirait, l'air détachée. Phila avait les traits tordus, les dents montrées dans une expression de dégoût absolu. Corbeau avait le regard perdu au loin, fixé sur le trône derrière Kikoolol. Ou peut-être Kikoolol lui-même. Et Baku affichait toujours cette même expression de terreur, les doigts serrés sur la paume de Lina comme sur une bouée de sauvetage. Même leur ennemi semblait dégoûté.

« – Moi, je m'en souviens. Je fais encore des cauchemars. Erin s'en souvient sûrement. J'avais donné un faux prétexte à tout le monde. Comme avec ce maudit plan. Comme avec toute ma vie. Un beau mensonge. »

Lina releva la tête. Comment ça mensonge ? Comment avait-il pu mentir ?

Les doigts de Baku se resserrèrent encore plus sur sa main alors que Kikoolol se levait et se rapprochait d'eux, et il marmonna doucement :

« – Il est ici... »

Mais l'information ne s'imprima pas. Lina était trop concentrée sur l'ennemi. Beaucoup trop à son goût. Et elle n'arrivait pas à comprendre pourquoi elle le suivait du regard avec une telle intensité. C'était l'ennemi. Et même si ses propos étaient intéressants, son regard ne devait pas se fixer. Pas comme ça.

Kikoolol soupira. Et se lança, avec l'expression de celui prêt à lâcher une bombe.

« – Il se trouve que je hais les clichés. Je les hais à un point inimaginable. Mais la seule solution pour avoir le pouvoir de les détruire était de prendre leur tête. »

Le Feu Et La CendreWhere stories live. Discover now