Main

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Main.


"Main:n.f, singulier du latin manus: Organe de la préhension et de la sensibilité, muni de cinq doigts, qui constitue l'extrémité des membres supérieurs de l'homme."

« Cet organe est considéré comme un instrument. »

« Image de la force, de la vigueur d'une action. »

« Chercher une main secourable .»

Selon le site de Larousse.


Jamais autant la définition pure du dictionnaire ne m'a frappée. Comprenant une dualité incroyable entre l'outil et le symbole. C'est incroyable, aussi, à quel point cela se ressent.

Tout le monde sait ce que c'est, une main. Tout le monde voit cet organe, muni de cinq doigts, tout le monde en a, normalement et si vous n'avez pas les mains trop baladeuses, que vous ne les laissez pas trop traîner auprès de machines avides de sang et n'attendant que de les déchiqueter.

Non, tout le monde sait ce que c'est.

Mais peu de gens savent ce qu'est cette main secourable.

Pourtant certains la cherchent. Dans le besoin, dans la chute, besoin d'une main pour pouvoir éviter de tomber encore et encore. Une main qui peut les relever, une main qui peut se fermer solidement sur la leur et ne jamais les laisser retomber à nouveau.

D'autres la trouvent, simplement, par le hasard d'un chemin. Ceux-ci s'arrêtent, soufflant un bon coup pour faire partir leur point de côté, et se laissent guider et mener par des mains connaissant tous les chemins, lisant toutes les cartes.

Parfois enfin, les mains viennent d'elles-mêmes. Comme cette main que l'on tend à ce cycliste ayant fait une sale chute, cette main qui nous retient alors que nous glissons du bord d'un précipice... On ne l'a pas demandée, non, loin de là. On ne l'a peut-être même pas espéré... Mais pourtant elle est là.

C'est de cette main secourable dont je vais vous parler aujourd'hui.


Alors que le froid envahissait chaque centimètre carré de la grotte, que le vent soufflait durement sur les parois en roc... Alors que la nuit tombait, que le Soleil et sa petite chaleur réconfortante s'effondraient pour laisser place à la Lune froide et impersonnelle, à la torpeur glaciale...

Deux êtres se tenaient l'un conte l'autre dans la caverne. Le sifflement des courants d'air leur glaçait le sang. Dans leurs têtes résonnaient encore des cris, des hurlements ; dans leurs corps résidait encore cette énorme explosion. Tout autour de leur refuge, ensevelis sous la neige, traînaient ça et là des débris coupants du crash les ayant mené sur cet endroit infernal. Brisés, les ailes de leur avion fumaient encore, même si le feu avait cessé d'illuminer le plateau montagneux depuis longtemps. Ne restait que misère, que débris, qu'eux.

Eux qui s'étaient rencontrés par hasard. Lui devant s'asseoir siège 21 allée 5 côté L, elle siège 78 allée 3 côté S. Dans un autre monde, ils avaient peut-être des points communs. Des intérêts partagés,... Mais tout cela était loin. Eux qui maintenant se tenaient l'un contre l'autre dans cette petite caverne.

« Prends mes mains, prends mes mains et ne les lâches plus »,avait-elle dit. C'est ce qu'il avait fait. Pris ces douces mains, pris son doux corps, et eux deux se réconfortaient mutuellement des pertes, de la peur et de la violence de ce qu'il venait de leur arriver. Deux mains qui se tenaient solidement, qui se soutenaient ? Il fallait juste attendre l'arrivée des renforts, de l'échappatoire. Mais en attendant, seul le froid les accompagnait.

Lui...

Il prit soin d'elle. Il s'inquiéta, en fit sa préoccupation majeure dans ce monde décharné et cette entropie montante. Il bravait froid et douleur pour essayer de la réchauffer, essayait de trouver les mots pour qu'elle puisse dormir. Jamais une main ne prit autant d'importance à ses yeux, jamais il n'avait autant pris soin de quelqu'un. Tout, il aurait tout donné... Pourtant il n'avait rien, chose bien étonnante. Il se battait contre le froid qui montait, s'insinuait entre eux et refroidissant cette femme qui arrivait à tant. Il pansa ses plaies, pensa à elle. Plusieurs fois il se fit battre, par le vent qui le figeait sur place, par la tempête qui les acculait, ou même par sa propre bêtise. Toute main a ses ratés, toute main peut trembler... Surtout quand le glace envahit chaque once de peau.


Puis un jour, un hélico arriva. Une équipe filma les décombres. Les deux rescapés sortirent de leur trou.

Elle...

Elle avait apprécié son aide, et l'avait tant aidé en retour. Elle n'avait plus grand chose mais tout cela, elle le lui avait donné. Cette caverne avait été leur bulle de protection. Leur maison, loin de ce vent et de ce froid, de ce Soleil hypocrite affichant sa chaleur qui ne réchauffait rien. Il couvrait ses doutes, éclaircissant son esprit comme un ciel bleu après la tempête. Sensible, il avait su l'être avec elle. Parfois on aurait pu croire qu'il avait deux mains gauches, faisant des choses comme une personne pas vraiment douée. Mais elle pensait que malgré cela résidait au fond de lui, au fond de son regard, quelque honnêteté. Elle lui avait tendu ses mains, en retour des siennes. Tout comme il avait su panser ses plaies, elle avait veillé sur lui. Incroyable de voir qu'une sorte de relation se construit ainsi, loin de tout, dans ce froid montant. Incroyable mais pourtant si réel face à la neige, qui elle semblait pure mais pourtant si vicieuse... Elle s'était tenue à lui, le supportant aussi, chaque jour. Jusqu'à l'arrivée de l'équipe. Ils furent séparés, chose qui n'était jamais arrivée depuis... depuis... Et elle avait tout raconté à la personne en face, à cet homme, cette femme qui venait la secourir de ce monsieur. Non, pardon, de cette situation, du crash et du froid. Mais pourtant au fond d'elle, elle se demandait si ce n'était pas lui qui le faisait déjà, ça. Si ces gens n'étaient pas en train de l'en empêcher. Elle leur expliqua donc tout, la maison, le froid, l'hypocrisie, les mains. La personne en face vit de l'admiration, quelque chose de sincère. Lorsque les yeux de la rescapée se levèrent vers cette personne en face, on lui sortit :

« Il en avait besoin pour rester en vie ».

Perte d'altitude, premiers cris de peur, message du capitaine, sacs à oxygène, secousses, plus de cris, crash. Pour cette jeune femme c'était la prise de conscience, c'était le retour brut contre le sol, à 1000 mètres seconde, sans airbag. Elle se replongea dans cette maison, dans cette caverne. Ouvris les yeux sur la main, et la vis peine de sang, pleine de merde. La personne en face reparti vers l'équipe, et elle regarda au loin le rescapé, qui lui était encore aux prises avec l'équipe. Alors qu'il lui adressait un regard tendre, elle détourna le regard, encore honteuse de la haine qui germait en elle. Tout ça, se disait-elle, tout ça... Elle repensait aux cadavres, au sort qui l'attendait, lui, sans elle. Elle repensaità tout ce qu'il avait fait. Ce mec odieux, ce connard sans limite. On la fit monter dans l'hélico, mais elle n'alla pas près de lui. Elle retrouva la civilisation, le vrai monde, le monde qu'on lui avait fait quitter avec cet avion s'écrasant. Elle retrouva ses habitudes, repensait à ce monde qu'elle quittait doucement, voyant de plus en plus de mal en cet homme. « Prends mes mains » avait-elle dit, mais aujourd'hui elle se demandait s'il ne les avais pas ravies de force. Chaque erreur devenait de plus en plus obscure, comme si une chose malsaine s'en emparait. Elle fut invitée sur des plateaux de télévision, et les animateurs lui posaient des questions. Elle y répondait, voyant les choses obscures devenir toute aussi hypocrites que la neige en-dehors de la caverne ; elle dénonçait cet homme, cette main. Cela faisait longtemps qu'elle ne le regardait plus, ne lui répondait plus. Désormais, la réalité devait courir, la réalité devait être connue de tous. La haine était devenu son feu intérieur : puisse-t-il crever.

L'homme retourna s'exiler dans sa montagne. Là où le monde était devenu maintenant plus hypocrite que jamais, la neige lui semblait déjà plus honnête. Jamais il ne comprit pourquoi de telles petites erreurs l'avait mené à cela. Jamais il ne revit la main. Mais maintenant qu'elle était sauve, il pouvait laisser le froid gagner en paix. Il s'assit sur la neige, attendant le prochain avion, le prochain crash, en espérant qu'ils viseraient bien. 

Dictionnaire du Petit Littéraire.Where stories live. Discover now