Démence

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"Démence: n.f, du latin dementia, de mens, l'esprit. Aliénation mentale, folie. 

Affaiblissement psychique profond, acquis et spontanément irréversible, qui se manifeste par une diminution des fonctions intellectuelles avec troubles de la mémoire, de l'attention et du jugement, un appauvrissement des fonctions symboliques (langage, praxies, calcul) et une perte des critères de référence logiques, éthiques et sociaux. (Une désorientation temporo-spatiale est fréquente. La démence a pour conséquence de graves troubles du comportement.)  

Familier. Conduite peu raisonnable, insensée, extravagante" 

Selon le site de Larousse.


C'est comme un rire.

Un rire qu'on aurait jamais du entendre.

On est loin du rire jovial, le rire poli que l'on s'accorde à lâcher à la suite d'une blague mondaine, le rire contenant trois notes différentes et une rythmique bien précise en croche-noire-croche, quelque chose du genre en tout cas. Ce rire aux accords chantants, ce rire mélodieux pouffé à demie-voix, ce rire sucré et doux, moelleux et aérien comme de la barbe à papa... enterrez-le, bien profondément sous des tonnes de terre et de gravats, plantez une pierre tombale avec une jolie petite croix dessus, une petite phrase avec un "RIP " une gerbe de fleur, 2 larmes et puis oubliez-le.

C'est un rire qui part de rien, un rire sans origine, pas même une légère blague, quelque chose de marrant, pas même d'une pointe d'humour circonstanciel ou de répétition. Il vient de nulle part, ou peut-être d'un recoin oublié et poisseux de l'esprit.

Il vous surprend au moment où vous vous y attendez le moins, en plein milieu début ou fin d'une période de calme, de plénitude... voyez-le comme une torpille fusant à travers l'eau qui était calme, tranquille, chassant les poissons et petits êtres vivants du coin. Voyez-le comme l'éclair éclatant, déchirant le ciel, puissant, subit, et qui froisse vos pauvres petits tympans.

Ce rire commence, d'abord doux, c'est vrai, je vous l'accorde. Mais doucereux, mielleux, on le cache à demie-voix, et il est chargé de tellement de choses implicites... Il communique, avec une seule fausse note monotone, répétitive, comme un bug dans un CD qui rippe sur un seul accord, il communique la haine, sournoiserie, violence, rien qu'avec cette note que vous ne pouvez plus supporter vous sentez l'acidité corrosive de ce qui va vous bouffer les tripes.

Puis il commence à monter dans ses tours, comme un dragster au moteur qui chauffe puis qui démarre d'un seul coup. Il se teint de variations démoniaques, d'abord avec des petits écarts s'apparentant à une tierce ou une quinte mais plus rapidement aux octaves délirantes. Il gronde puis monte de plus en plus vite, il dérape dans un crissement plaintif de pneu, il échappe à votre raison et vous martèle les tempes. Vous êtes pris dans cette ascension, vous aussi vous montez, vous êtes porté(e) par ce flux de violence et de déraison, vous avez un léger sourire gêné face à ce rire (ce hurlement), un petit sourire car vous le savez ce rire-là bon Dieu c'est pas normal. Vous êtes pris dans la violence, vous êtes pris dans tout ça et vous sentez la pression sur vos tripes vous annonçant que vous avez les chocottes et que le danger s'est mêlé aux centaines de notes discordantes que vous entendez.

Si d'abord ce rire aurait pu être comparé à une brise qui vient vous foutre les cheveux dans les yeux, vous vous trouvez maintenant dans un cyclone, presque dans l'œil, un cyclone de bourrasques violentes et dangereuses. Vous vous perdez dans la mélodie mystificatrice, oh non, ce n'est plus une mélodie, je ne... ouais...

L'Apogée est atteinte. Peu de mots décriront à merveille... ça ... si ce n'est que la démence.

C'est inhumain, horrible, hystérique, strident, perfide et puant la mort.

Ça partait d'un rire et ça amène à un cri déchirant, un hurlement qui monte de vos tripes, s'extirpant de votre gorge, déchaînant les hectolitres d'acide stockés dans vos boyaux. Vous crachez l'inhumain, l'impossible, votre âme est rongée par les humeurs que vous rejetez, les litres de fluides gluants et fumants. Vous sentez que par cet hurlement vous perdez tout, que chaque veine de votre corps expire, que vos forces vous quittent, que vous rejetez votre être.

Finalement... peu à peu, le cri s'éteint, comme tombant, s'atténuant, tombant comme quelqu'un tombant d'un avion... il crie, hurle de peur et d'effroi, mais bien vite on ne l'entend plus. Votre gorge est décharnée, votre âme décédée, vos muscles tremblent de spasmes incontrôlables. Le silence s'est refait, le silence est revenu mais pas dans votre être, en vous c'est le vide fermé avec des murs aux parois de béton, et résonne en écho, vous vrille dans la tête ce cri inhumain qui vous rappelle votre démence.

Ce cri... ce rire que vous n'auriez jamais du entendre.

Mais que vous entendrez à vie.

Dictionnaire du Petit Littéraire.Where stories live. Discover now