L'homme qui attend

2 0 0
                                    

           Il fumait une cigarette, debout sur un pont au-dessus du vide. Il regardait au loin, les yeux perdus dans la houle des vagues poussées par le vent. Il attendait.

Quoi ?

La vie. Le temps. Les gens; Le monde. un peu de magie dans son univers si sombre. Un peu de couleurs dans cette ombre qui lui colle à la peau et ne parvient pas à se détacher, dont il ne parvient pas à s'extraire.

Qu'importe, aujourd'hui il se sent seul, il se sent solitaire, il se sent raz-de-marée mourant sur la chaussée.

Mourir, en voile une drôle d'idée...

Il pense au fusil, rangé dans un placard de son salon. Le vieux fusil de son père qu'il n'avait jamais touché. Mais pour l'instant il est trop occupé à attendre.

Il finit sa cigarette et la jette par-dessus le parapet, la regardant s'échouer dans le fleuve, se demandant ce que ça fait d'être un mégot de clopes jeté par-dessus bord. Ce que fait le vent qui siffle, le contact des doigts moites, le grand vide et l'impact. Il se demande ce que ça fait mais l'oublie vite.

Il est déjà occuper à attendre.

Il reprend sa route. C'est qu'il n'aime pas fumer en marchant. Il n'aime pas fumer debout aussi mais il a plu et la pierre est humide. Alors il prend sur lui. Il repart. Il regarde le paysage tourner autour de lui, changer, sans jamais perdre de sa teinte grisâtre de désillusion. Il ne distingue pas la ligne d'horizon du reste du ciel. D'ailleurs il y a des nuages, un amas bien épais, bien gris, bien gros, qui se balade au gré du vent, transhumance insaisissable.

Il erre. Il pourrait rentrer chez lui tout de suite mais il n'a pas fini d'attendre. Ca peut-être long parfois. Ou alors très court. C'est comme le reste, mouvant, incertain, confus. Comme lui, un peu.

Lui l'homme au chapeau tombant, à la cigarette voguante, au manteau noir, aux chaussures usées jusqu'à la corde, lui l'homme qui toujours attend.

Sur un trottoir il passe devant un cabaret. A l'affiche un groupe de femmes figées, un groupe de petites colombes jambes hautes, bustes dressés, sourire glacés. Il n'arrive pas vraiment à savoir si elles sont belles. Elles sont, c'est déjà pas si mal. Ils se demandent si elles aussi elle attendent.

En coulisses, dans leur appartement, sur scène, dans la vie. Et si oui il se demande ce qu'elles attendent. Une promotion, le début du spectacle, un homme, une femme, un enfant, quelque chose, pas grand-chose.

Il passe son chemin. Il est trop occupé à attendre lui aussi pour s'arrêter, pour s'égarer.

Il s'arrête à un feu rouge, sort une nouvelle cigarette, il la fume en attendant.

Le feu passe au vert, il n'a pas fini sa clope alors il attend encore. Jusqu'au prochain. Ca lui laisse le temps de terminer. Il jette son mégot dans un caniveau. Il se demande si celui-ci rejoindra son frère dans l'eau du fleuve ou s'il finira en-dessous de ses pieds, dans des canalisations sordides, au milieu des rats et des effluves de l'humain. Mais déjà le feu lui ouvre la voie et il traverse. Il ne peut attendre de réponses de la part du mégot il attend déjà les siennes.

Il passe devant un salon de thé. Il y a des gens en terrasse, il y a des gens à l'intérieur. Ils attendent eux aussi. Leur commande, que le temps passe, des gens, un message. Il se dit que ça fait beaucoup de gens qui attendent et se demande où se situe l'importance de ses propres attentes.

Il hausse les épaules. Ca ne compte pas. Pas plus que ces gens endormis aux yeux avachis sur téléphone ou sur bouquin, ou rivés dans les yeux de son voisin. Non tout ça n'a pas d'importance.

Il regarde autour de lui, se poste en bas de son immeuble. Il sort une nouvelle cigarette. Il ne fume pas chez lui. Alors sur le trottoir il en grille une dernière avant la prochaine sortie. Il regarde les passants, il regarde les nuages. La pluie recommence à tomber. Il y a du vent. Beaucoup de vent. De plus en plus de vent. De plus en plus de pluie. Il se demande ce qui se passerait s'il ouvrait les pans de son manteau. S'il s'envolerait. Il ne sait pas. Il s'en fiche au final. Il est encore en train d'attendre.

Une goutte tombe sur sa cigarette. Elle s'éteint.

C'est le moment de rentrer.

Après tout il en a marre d'attendre. Marre de patienter.

Après quoi ?

Un changement, du rouge, du violet, de la lumière, des gens. Marre de tout.

Puis, en haut, dans un placard du salon, il y a le fusil de son père qui attend. Et ce n'est pas bien de faire attendre les choses.

Défi des mots 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant