5. Adèle Strasse

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J'aperçois vaguement un sourire malicieux se dessiner au coin de sa bouche. Elle a senti, depuis longtemps, que l'intégralité de mes voies endocrines et nerveuses est en panique. Elle doit s'amuser à constater que son charme n'a pas diminué son emprise sur moi malgré les longs mois qui nous ont séparés.

Instinctivement, je baisse la tête et mon nez glisse le long de son visage, à la recherche de sa bouche. Mais en un éclair, sa main droite qui gisait sur mon épaule colle un index à mes lèvres comme pour me dire de me taire. Je sens une force à la fois conciliante mais directe qui me fait rebrousser chemin. J'ai compris, pas maintenant.

Et merde ; ma Renaissance ne sera pas de tout repos. Même si cela me fait un bien fou de retrouver ma vie d'avant la Cassure, j'aurais dû m'y attendre. En ressuscitant mon passé, ma vie, et mon Espoir, j'ai ramené avec eux toutes ces anciennes histoires de cœur... enfin, cette ancienne histoire de cœur. C'est aussi cela, être vivant – est-ce que je ne ressentais vraiment rien quand j'étais en morceaux ? ou est-ce que j'étais trop occupé à changer le monde, et il ne valait mieux pas ressentir ? –.

Je la serre un peu plus fort contre moi. Je crois qu'elle fait de même. En posant ma tête contre la sienne, je lance la réplique qui devait arriver.

« Si je comprends bien... nous avons un problème ? »

Jessi hoquète un petit rire avant d'enchaîner. « C'est pas de ma faute si tu n'es pas quelqu'un qu'on oublie facilement. » Et c'est à ce moment-là que je me détends enfin. C'est là que j'ai bien l'impression de retrouver Jessi, celle que j'aime. Celle que je connais, sûre d'elle et qui rebondit sans chercher sur les plaisanteries. La Jessi avec laquelle je suis complice et pour qui cet échange a du sens. Ma petite amie.

En voilà un problème... je suis en couple, follement amoureux. Même si pour l'instant je trouve que c'est assez agréable, comme problème, les choses vont être très, très compliquées. C'est à la fois exactement ce dont j'avais besoin ce matin pour me détendre et la plus grosse source de panique de cette semaine de cinq jours.

Je ferme les yeux, passe une main dans ses cheveux. Mes doigts glissent le long de sa joue, sa peau est douce et tiède et le contact me fait frissonner. J'essaie de me souvenir de cette sensation, de ce que cela fait de l'embrasser, de mordre ses jolies lèvres roses. Elle est belle... son visage m'avait manqué... son corps contre le mien aussi... Jessi a cette manie de toujours maintenir son corps légèrement plus chaud qu'un homéotherme de la même espèce, ce qui produit une sensation de réconfort quand on l'enlace... À cela vient s'ajouter ce petit je-ne-sais-quoi... il y a quelque chose d'insaisissable dans cet instant ; cette sensation d'avoir retrouvé une partie de moi, une qui comptait plus que toutes les autres. Peut-être qu'à moi aussi, il me manquait ce caractère légèrement rugueux. Je me souviens de ces mots d'amour vaches, qui n'étaient là que pour exprimer la violence de notre amour.

Jessi tourne brusquement la tête vers la salle en contrebas, où le ballet des soldats s'accélère.

« Il se passe quoi ? »

Je fais glisser mon regard sur la grande baie vitrée au travers de laquelle je vois mes agents courir à travers la salle et se réunir autour de la porte gravée de « WG » pour prendre en charge du matériel qui vient d'arriver. Le panneau indicateur clignote en jaune en signe d'activité importante.

« James, je pense... et peut-être Edan, ce serait pas mal... »

Je me contente de cette réponse, parce que je sais que Jessi enchaînera vite les questions. Et je ne me trompe pas.

« James ? Edan ?

- De bons vieux amis ; du genre que je ne vois qu'une fois tous les cinq ans... »

Mon insinuation lui fait vite comprendre que ce sont des connaissances nouvellement recrutées dans mon Armée. Tout en parlant, je me dirige vers la cage d'escaliers et ouvre la porte à deux battants coulissants en scannant ma montre sur le verrou prévu à cet effet. Je me tourne vers Jessi et lui tend la main.

« Viens ! »

Elle m'attrape et nous descendons le colimaçon en métal brossé. Elle se colle contre moi quand nous entrons dans la salle en bas sur le même geste de la montre. Nous devons traverser la moitié de la pièce aux allures de bunker militaire avant de faire enfin face à la porte concernée. Pas mal de monde nous regarde (quelques-uns me saluent rigidement), mais certains, préoccupés par les détails techniques, ne font même pas attention à notre présence. Je me suis souvent demandé quel regard porte le monde extérieur sur mon Ashnell. Une bande majoritairement composée d'adolescents et de jeunes adultes qui ressemblent à une sortie classe verte tout en étant un bataillon d'élite avec un taux de réussite de cent pour cent... disons quatre-vingt-quinze depuis Scy.

Face au vortex, je sens Jessi qui serre un peu plus ma main. Elle n'a passé un portail trans-univers que trois fois, et chaque fois bien protégée à l'intérieur d'un Faucon, modèle 4. Les rayonnements dégagés par une telle masse de matière en contradiction totale avec les lois de la physique générale filent toujours quelques frissons (meme lorsqu'on a deja ressenti cette energie couler dans ses veines)... Je vois même quelques-uns de ses cheveux se mettre à planer.

Nous n'attendons pas longtemps avant que quelqu'un ne sorte du portail magique. C'est un petit groupe de trois agents qui encadrent une jeune femme d'une vingtaine d'années, au plus. Elle a des cheveux blonds méchés de rose et des yeux châtain irisés de orange. En-dessous de ses pommettes creuses repose une mâchoire triangulaire. Elle a changé, c'est le moins que je puisse dire. Seule sa tache brune de naissance qui gît sous son œil droit m'assure que ce n'est pas qu'un air de ressemblance, mais bien la vraie Adèle Strasse que j'ai en face de moi. 

Ender Sky - RenaissanceWhere stories live. Discover now