Téléphone

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-Tous les matins, j'ai mes petits rituels. Je commence par me lever aux alentours de cinq heures, neuf que nous ne sommes pas en semaine. Je passe une demi-heure sur les réseaux, vérifie que mon compte bancaire ne s'est pas réapprovisionner comme par magie pour que je puisse m'offrir ces nouvelles chaussures super belles. Ensuite, je me lève, vais aux toilettes, les yeux toujours rivés sur mon écran. En retournant dans ma chambre, je m'habille pour aller courir, musique dans les oreilles, téléphone dans la poche. Environ une demi-heure plus tard, je suis dans ma douche pour pouvoir enfiler des vêtements plus convenable. En sortant, j'avale mon petit déjeuner et après un dernier coup d'œil sur mon téléphone, je suis prête pour la journée. Histoire d'être sûre de n'avoir rien oublier, je vérifie également ma "do to list" sur mon écran. C'est simple, vous pouvez savoir où je suis juste en regardant l'heure. Je suis comme qui dirait, réglée comme du papier à musique.

"Les téléphones actuels sont tellement pratiques. Une empreinte ou votre visage et l'écran est déverrouillé. La porte ouverte sur le monde. Musique, internet, la communication, payer vos achats, tout vous est possible. Vous pouvez même en quelques clics parler à une personne qui se trouve à des centaines, à des milliers de kilomètres de vous. Pour moi, c'est de loin la meilleure invention au monde. Les jeunes disent souvent que leur portable est leur vie, qu'ils ne peuvent rien faire sans. C'est mon cas également. 

"C'est lors de ma course matinale que je l'ai justement rencontré pour la première fois. Je répondais à un message lorsque je le heurta. Un homme pour le moins banal, brun, les yeux marrons, un mètre quatre-vingt pour soixante kilogrammes environ. Il portait un costume, une mallette et un café à la main. Enfin, disons plutôt qu'il avait un gobelet vide entre sa paume et la boisson chaude sur le pantalon. Dommage pour lui, nous ne sommes pas dans un film, sa plus grosse souffrance n'est donc pas la facture du pressing pour sa cravate. 

"Gênée, je lui en ai offert un autre. Durant tout le mois suivant, nous nous croisons tous les matins. On discutait un peu avant de repartir chacun de notre côté. 

"Et puis un matin, je l'ai croisé, j'ai diminué ma cadence comme à mon habitude. Il avait un gobelet à la main qu'il me  vida dessus lorsque je suis arrivée à son niveau. 

-Pourquoi avoir fait ça ?, m'outrageais-je. 

-Il semblerait que je ne doive un verre désormais, m'avait-il répondu. 

"Et c'est ainsi, parce qu'il  m'a vidé son café sur mon haut, que le soir même nous nous sommes donné rendez-vous au bar du coin. Et puis comme la soirée se déroulait bien, nous avons prolongé sur un dîner. Pas la grande classe, bien sûr, juste un petit resto. 

"A un moment dans la soirée, je suis partie aux toilettes. Je crois que c'est là que tout à commencer. Je ne l'ai pas remarqué tout de suite, mais en y repensant je suis certaine d'avoir laissé mon téléphone écran vers la table pour ne pas être déconcentrée. A mon retour, il était face contre le plafond. 

"Et puis les jours qui ont suivis, j'ai remarqué que mon téléphone était plus chaud, que sa batterie se déchargeait plus vite, mais je n'y ai pas fait spécifiquement attention. Je me suis dit qu'à force de l'utiliser comme je le fait, c'était normal. Ce fut une grosse erreur. Et puis à côté de ça, je le revoyais encore tous les matins, comme à notre habitude.  

"Une semaine après le dîner, nous nous sommes revus. En soirée, je veux dire. Comme la dernière fois, la soirée se passait bien. Comme on avait déjà eu rendez-vous et qu'on s'entendait plutôt bien, nous avons pris quelques photos pour mes réseaux. Je me souviens même avoir fait attention à ce qu'il ne puisse pas voir mon code de secours. Mon empreinte ne fonctionnait pas, j'avais les mains un peu grasse. Une précaution bien inutile.

"Voilà depuis, je ne l'ai pas revu. On est parti chacun de notre côté. Je pensais que nous nous allions nous revoir le lendemain matin, mais non. Pas la moindre trace. Depuis deux mois, j'espère le croiser dans le parc. Mais maintenant, je comprends bien que c'est un effort inutile. 

-Vous avez posté les photos dont vous parlez ?

-Bien sûr, monsieur l'agent. Je vous ai même donnée accès à mes comptes. Vous ne les avez pas vu ? 

-Il n'y a que des photos de vous et de vos amies. Oh, on trouve bien quelques photos de plats, mais aucun homme. 

- Il a dû les supprimer. Concrètement que puis-je faire pour que cette histoire se termine vite ?

- Vous devez déjà changé tous vos mots de passe sur les réseaux sociaux, changer de portable. Vous allez devoir appeler la banque pour prévenir qu'un individu vous a piraté votre téléphone. Cela risque d'être long et il y a de fortes chances pour que vous ne revoyez pas l'intégralité de votre argent, mais ce n'est pas le problème le plus grave.

- Parce qu'il y a en a un autre ?

- Changer de mots de passe, fermer un compte bancaire se fait assez rapidement. Mais dans les téléphones actuels, il y a bien plus que ça. Vous l'avez dit vous même, une empreinte ou un image de votre visage et l'écran est déverrouillé. On ne peut pas changer d'empreinte et la chirurgie esthétiques n'a aucun effet sur les critères pour le scan du visage. En vous piratant votre téléphone, il a aussi accès à vos empreintes et à votre visage, définitivement. Je suis sincèrement désolée pour vous mademoiselle.

Je suis anéantie. Il n'a non seulement piraté mon téléphone, mais aujourd'hui il a le contrôle de ma vie jusqu'à ce qu'il décide que je ne lui suis plus utile. Il pourra déposer de mes empreintes où il veut facilement, placer mon visage n'importe où. Il ne m'a pas seulement volé mon portable, il m'a volé ma vie. Littéralement.

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