3. Nomades

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— Fait chier ! On fait que de bouger encore le problème ! S'exclame Gabriel.

Il tape du poing. Posées en vrac sur une table en bois servant de comptoir temporaire, les fioles de narcose tremblent sous son agacement. Gaby ne se préoccupe plus d'écouler le peu de nos provisions. Vu ce qui nous reste... Notre système utopiste libère ses failles. Nos clients-fournisseurs se montrent de moins en moins généreux ces derniers temps, moi le premier. Voler les humains pour distribuer parmi nous anges damnés. Même s'il s'agit d'un bien commun aux yeux d'un idéaliste comme Gabriel. Mais entre donner ou garder pour soi, le choix semble facile.

Certains rêveurs déchus attroupés autour de lui reculent d'un pas, manquant de renverser notre horloge à eau. Celle-ci nous indique les heures de sommeil qu'on a gaspillé depuis l'altercation de ce matin.

— Ça m'dérange pas, je hausse les épaules.

— C'pas toi qui t'occupes d'bouger le matos. Ou d'couvrir nos membres, comme toi.

Ces derniers maîtrisent les consignes en cas d'évacuation forcée : se disperser dans la capitale puis suivre les indices déposés par Gaby, comme les cailloux du conte si apprécié par les humains. La fuite fait partie de notre routine et je suis devenu l'un de ses habitués. Pourtant, Gaby, hôte de nous autres voleurs, trouve toujours de quoi se soucier. 

N'empêche, il aurait pu choisir un endroit plus sympa que ce coin de la Seine pour y déménager le Mayfly. En plissant mes lèvres, je passe une main dans ma tête encore dégouttante des eaux usées où j'suis tombé une heure plus tôt au lieu d'embarquer sur le pont. Je me défends en haussant des épaules :

— Niveau distraction, j'ai géré.

— Y'en aurait pas eu besoin si t'avais pas attiré un merdeux de l'Oniria.

Des reproches à mon encontre grondent dans la salle. L'ombre des rêveurs m'oppresse au rythme des vrombissements de la péniche, tandis que je maintiens mes yeux au sol. Les dents serrées en l'entendant insulter Icélos, je le corrige :

— Mon frère, tu veux dire. Et c'est bon ! C'est la première fois qu'ça arrive en dix ans.

— C'est maintenant que tu m'dis que t'as de la famille chez les narcs, Ad-ri-an ?

Je soupire. Avec ses grandes oreilles, j'aurais dû me douter qu'il percevrait des bribes de ma conversation avec Icélos.   

— Tu crois que j'ai choisi ? Et j'suis pas le seul que j'sache !

Comme Gabriel ou les autres présents dans la cabine, j'étais destiné à être rêveur. Comme mon frère et mes parents avant moi, j'étais chargé d'accompagner les humains dès la fin de ma formation. Tous les jours, je subissais les cours à l'Oniria, le laboratoire où se réunissent les anges du Sommeil. Tous les soirs, je rejoignais ma famille absente puis me réfugiais sur la toiture de l'immeuble. À observer les lumières de la capitale s'éteindre sur mon inéluctable sort en mauvaise compagnie.

« Tu n'as jamais souhaité autre chose ?

— Comment ça ?

— Une autre vie. Un autre travail.

— C'est un don que t'as, Adrian. Que feraient tes protégés sans toi ? Et tes parents ? Et t'as pensé à moi ? On a besoin de toi. »

J'avais failli accepter mon inéluctable destin, à condition qu'elle en fasse partie. Yume avait presque réussi à me soumettre entièrement à leur cause. Puis, j'ai ouvert les yeux dans ce mirage de vie. Finalement, sans lui être reconnaissant non plus, c'est elle qui m'a poussé à prendre la première et meilleure décision que j'ai jamais prise : me casser. 

Faut que je dorme. Ne plus y penser. Alors que je m'empresse d'effacer la silhouette familière qui tente de se glisser dans mon esprit, Gabriel prolonge son interrogatoire.

— Qu'est-ce qu'il voulait ? 

— Rien qui vous concerne. Mon frangin m'a averti que la brigade venait pour moi. 

Un silence de mort résonne en écho de l'automoteur. Ma sentence prononcée, je suscite désormais la pitié de mes pairs. Ils savent que je n'en ai plus pour longtemps. Lorsqu'ils l'ont dans le collimateur, le conseil de l'Oniria affiche rarement sa clémence face à un déserteur. Encore moins contre un qui se retourne contre les siens. Avant que mon frère ne me le confirme, je soupçonnais déjà que lui ou nos parents avaient dû me couvrir. Mes dernières années n'étaient qu'une manipulation de plus. On m'a offert la liberté en sursis. Ils vont me forcer à me désintoxiquer à la vie dont j'ai à peine goûté. 

J'ai droit à des tapes dans le dos ou aux regards absents de junkies pour le moins compatissants. En prouvant que je suis bien l'un des leurs, je rassure les autres voleurs du Mayfly. Le teint moins rougeâtre, Gabriel répartit les grains de sable auprès de la vingtaine de rêveurs présents. Trop pressés de disparaître loin de nous, loin de moi. Même si je ne me tiens pas responsable de l'impasse dans lequel nous nous trouvons. 

Bien que je préfère ma situation aujourd'hui à mon emprisonnement d'antan, je comprends que son instabilité déplaise. Obligés de déménager notre repaire à la moindre intrusion. Condamnés à errer de squat en squat pour s'adonner à notre addiction favorite. À la fois libres et dépendants des humains dont nous fauchons la narcose. Prisonniers d'un cercle de vices chimériques.

Sa torpeur retrouvée, Gabriel s'adresse à moi, le sourire figé.

— Que tu t'appelles Matthew ou Adrian, ça change rien, j'peux plus rien faire pour toi. C'est peut-être pas plus mal. On arrive à la fin de notre stock. 

Gabriel désigne notre trésor amassé au fil des pillages. Icélos avait lancé le compte à rebours : mes années de rêverie périment prochainement. Autant profiter de mes derniers instants.

***

Bonjour à tous. :)

Je suis vraiment contente parce que j'avance dans mon histoire. Wattpad a l'air de bien m'aider ! J'ai même envie de lancer un autre projet en parallèle... Mais bon, déjà, je vais voir comment vont se passer les prochaines semaines, avec les vacances, je vous promets rien.

En tout cas, merci de me suivre : vous êtes plus de 100 à voir lu le début de mon Voleur de rêves ! Pensez à laisser des commentaires pour me donner vos avis, je serai ravie d'échanger. ^^  

À écouter :  Why'd You Only Call Me When You're High? - Arctic Monkeys

Le voleur de rêves (en Pause)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant