nuit

5 3 0
                                    

"Je ne vais pas te présenter à mes amis ce soir.

- Ah, et donc ? demandai-je

- Mmh ? Ca ne te dérange pas de passer la soirée seul avec moi ?

- C'est pour ça que je suis venu."

Elle soupira, soulagée, puis ralentit le pas. Il se passa quelques minutes sans rien dire, ou, ma paume contre la sienne, nous marchons dans les rues de Paris, jusqu'à tomber sur un petit parc d'enfant. Calme et noir, à peine éclairé, situé loin de la route et de ses bruits.

Thalys alla s'asseoir sur une balançoire, qui grinça sous son poids. Elle posa un grand cabas noir à ses pieds.

"Viens."

Je m'exécutait, et m'asseyait sur le sable en face d'elle.

"C'est étrange, comme situation, non ? je dis. On ne se connaît pas, et on est ensemble, alors qu'il fait noir.

- Oui. C'est justement ça qui est bien."

Puis, Thalys se mit à parler, sans vraiment discontinuer. Elle parla de cours, en vérité. Je la coupai au bout de quelque minutes.

"Thalys, je m'en fous.

- Moi aussi. Tu sais, les gens veulent pas venir me parler, je leur fait peur.

- Et moi, c'est les gens qui me font peur."

Elle éclata de rire, comme plus tôt dans l'après-midi, puis sorti une bouteille en verre de son sac. De la vodka à l'évidence - puis, elle retira le bouchon et la porta à ses lèvres. Elle prit une gorgée, ferma les yeux et me tendit la bouteille.

"Je ne bois pas.

- Tant pis."

Elle sauta de la balançoire, et sa jupe fut soulevée. Elle avait l'air de s'en ficher, avec son visage qui souriait d'un air enfantin. Je m'en foutais aussi. Thalys s'assit à côté de moi, puis posa la bouteille entre mes cuisses.

"Ca peut te détendre, tu perds rien à essayer.

- Plus tard."

Elle me couva d'un regard doux, comme attentionné. Je sentis qu'elle devinait que je n'avais jamais bu, presque jamais rien, en vérité. 

"Pourquoi tu as voulu me parler, Dayan ?"

Cette fois, ce fut à moi de rire. Ca me paraissait évident, normal, j'avais envie de lui hurler qu'elle était intrigante et attirante par ce simple fait. Alors je pris la bouteille et porte ma bouche au goulot.

Thalys me l'arracha des mains.

"C'est pas comme ça que tu vas te dérober, tu sais.

- Je suis seul et tu es seule. Je crois que ça suffit. Je voulais rencontrer quelqu'un, et tu avais l'air de quelqu'un de bien."

Elle dit, après un silence :

"Je crois que j'ai un shot dans mon verre. Tu préfère boire dedans ?

- Oui."

La brûlure de l'alcool ne me surprit pas, une fois qu'il eut coulé dans ma gorge. C'était désagréable, dégueulasse. Alors je reposait le petit verre en plastique et secoua la tête.

"De toute évidence, on ne vit pas dans le même monde, chuchotais-je.

- Non. Mais ça, tu t'en doutais déjà."

Thalys remonta une manche, prit ma main et la guida sur son bras. J'eus des frissons, déjà à son simple contact, puis quand je senti des croutes sur sa peau douce. Longues et fines, caractéristiques. Elles étaient évidentes. Puis, au creux de son coude, un cratère, comme de la peau mise a vif.

Je détournai les yeux, sans rien vouloir voir. J'ouvris la bouche, mais elle me coupa ;

"Parce que, soupira-t-elle. Je préfère anticiper ta question, Dayan. 

- Je ne voulais pas dire ça.

- Tu voulais dire quoi, alors ?

- Pour qui."

À cette époque, pour moi, le malheur était forcément causé par les autres. Pour qui, c'était pour me rassurer et me dire que si l'on était malheureux, c'était à cause des autres. 

"Pour moi. Ecoute, on va pas s'éterniser la dessus."

Comme pour m'empêcher de parler, Thalys prit mon bras et releva vite ma manche. Dessous, ma peau, lisse. Puis, elle se pencha et déposa un baiser sur les veines apparentes de mon poignet. Un picotement remonta le long de ma colonne vertébrale et m'électrisa jusqu'à la nuque.

"Ne fais jamais ça Dayan. C'est beaucoup trop beau, de ne pas avoir de sang entre les doigts, tu sais."

Elle lâcha mon bras et reprit de l'alcool. Moi aussi.

Je crois que nous avons ensuite contemplé les étoiles pendant une heure, en parlant de tout et de rien. Elle avait écrit son numéro dans mon téléphone, et nous étions partis du parc à 23 heures. "Tôt". Pour elle. Moi, j'avais une demie heure de marche.

"Je te raccompagne."

Nous avons marché, dans le froid de novembre, jusqu'au perron de ma maison. Arrivé, je passai une main dans ses cheveux clairs. Elle était plus petite que moi, même avec ses chaussures. Elle était belle, là, éclairée par les lampadaires.

Thalys m'embrassa sur la joue, puis parti sans un mot.

Je m'endormis un sourire aux lèvres.

You've reached the end of published parts.

⏰ Last updated: Nov 10, 2018 ⏰

Add this story to your Library to get notified about new parts!

nuitWhere stories live. Discover now