Episode 1 💉 Innocence

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Automne 1985.

Insupportable. Quelques mèches de cheveux collaient à ma nuque, mon t-shirt noir Led Zeppelin fusionnait avec ma peau en ébullition et ma respiration se faisait haletante. Pourquoi fallait-il que la climatisation de la bibliothèque universitaire tombe en panne le jour où je devais le bosser le plus ? Un énième soupir passa la barrière de mes lèvres alors que je tentais d'arranger ma queue de cheval, sans quitter des yeux le livre que j'épluchais de A à Z. Les mains à nouveau libres, je griffonnais quelques informations sur ma feuille, essayant de rester concentrée sur les dernières lignes de mon brouillon.


— Mademoiselle, nous allons bientôt fermer !


Dans un sursaut, je relevai le nez et fis face à l'une des bibliothécaires. Mon réflexe fut de jeter un œil à ma montre avant de me rendre compte qu'il était presque minuit. J'acquiesçai et remballai mes affaires le plus vite possible, les fourrant dans mon sac à dos et je m'éclipsai. Je n'avais qu'une hâte : rentrer dans ma chambre étudiante, prendre une douche bien froide et dormir avec mon ventilateur dirigé sur moi.

Dans les couloirs vides peint en jaune et blanc et à peine éclairés, je traînais des pieds. Ma dégaine nonchalante ne changea pas pour autant une fois dehors. Un soupir de soulagement s'échappa de mes lèvres lorsque je passai les grandes portes du bâtiment ; il faisait meilleur à l'extérieur qu'à l'intérieur. Seuls quelques étudiants étaient assis dans l'herbe ou sur les bancs – où jonchaient les feuilles d'arbres aux couleurs orangées – sûrement aussi victimes de la chaleur étouffante dans leurs petites chambres, en tout cas pour les plus fauchés qui ne pouvaient pas toujours se permettre d'acheter un nouveau ventilateur. Désormais mes écouteurs dans les oreilles, mon walkman dans la poche de mon short noir déchiré, je pressais le pas pour rentrer. Je devais traverser une bonne moitié du campus avant d'arriver au pied de mon immeuble et à cette heure-ci, il n'était pas question de traîner, de flâner ou m'attarder sur le moindre détail. Chantonnant lors de ma traversée du parc, je me sentis marcher sur le lacet de ma chaussure et automatiquement, je me baissai pour le refaire, histoire d'éviter une chute. Seuls les bruits de quelques feuilles secouées dans les arbres et des voitures roulants étaient audibles, si on excluait ma voix de casserole.

Un crissement de pneus me fit sursauter ! Je relevai le nez, mais je n'eus pas le temps de faire quoi que ce soit qu'une main épaisse et calleuse se pressa contre ma bouche, puis un bras encercla ma taille. Cracher, la mordiller et se débattre dans tous les sens n'eurent aucun effet. Niet. Mon assaillant cagoulé et baraqué fut rejoint par deux autres hommes, l'un m'attrapa par les jambes et l'autre par les bras. La panique montait. Je voyais déjà la prochaine une des journaux locaux : « une étudiante retrouvée morte, violée et poignardée ». Mon cœur se mit à tambouriner contre ma poitrine. Mes yeux se brouillèrent de larmes. Mon estomac se serra. Je continuai de me débattre sans résultat. Mes hurlements finissaient étouffés. Sans prévenir, je fus balancée dans la fourgonnette noire avec laquelle ils s'étaient arrêtés juste à côté de moi. Mon corps s'écrasa contre un matelas, mais ma tête heurta quelque chose de dur. Je n'eus pas le temps de pousser un autre cri que l'un de mes ravisseurs grimpa à bord. La porte se referma aussitôt derrière lui et lorsque je me redressai en retirant mes écouteurs, je découvris que je m'étais cognée contre le genou d'un homme. Même plongée dans l'obscurité, je parvins à le scruter du regard. Ses mains et ses pieds étaient liés tandis qu'un bâillon en tissu l'empêchait de parler. Ses sombres yeux bleus semblaient apeurés, perdus et pleins de rage à la fois.


— Je te conseille de la fermer si tu ne veux pas finir comme lui !


Devil's Eyes (en auto-édition)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant