Chapitre 35

Depuis le début
                                    

- Calmez vous tous les deux ! Il se tourne vers moi, et toi ne reprends plus jamais le risque de traverser le terrain seul, cela risquerait de nous faire perdre des points un jour de match ! Il soupire, c'est tout pour aujourd'hui.

Il fait signe à tous les joueurs que l'entraînement est terminé, et tous soupirent de mécontentement. Moi aussi je suis mécontent d'avoir été interrompu dans ma course, ma respiration palpitante le montre assez bien. Samedi j'aurai ma revanche, et ils m'acclameront tous quand je ferai gagner la Roosevelt League.

...

Je quitte les vestiaires, et traverse la vaste pelouse seulement accompagné de mon sac de sport. L'horizon est désert, à l'exception des footballeurs qui se devaient de rester l'après-midi au lycée, il n'y a personne. Aucune pom-pom girl à embêter, ni aucun garçon sur qui décharger ma colère. Rien, que dalle.

Je dépasse le grillage et me dirige vers ma bécane. Aussi rouge que le sang qui bout dans mes veines, et plus luisante que tous les motocycles qui l'entourent, il n'y a pas de doute, c'est bien la mienne. J'enfile mon casque, enclenche le moteur et me voilà en train de rouler sur cette route qui me paraît infinie.

Le vent m'attaque de tous les côtés, mais je ne tressaille pas. J'arrive à me persuader que je suis plus rapide que lui. Mes doigts sont fermement enroulés autour des poignées de mains, comme si je craignais de tomber. Comme si je craignais de ne plus être en capacité de voler.

Je roule dans ce brouillard constant qui enveloppe mon existence, et me raccroche à cette moto comme s'il s'agissait de ma bouée de sauvetage. J'arrive à me persuader sur son dos, que les lois de gravitation ne sont que des conneries, que mon corps n'est pas soumis à cette force qui le tire constamment vers le bas, mais qu'au contraire mes ailes se déploient pour m'élever.

J'accélère de plus en plus vite, tel un biker sur sa Harley Davinson, en ne craignant plus de chuter. Je profite de cette adrénaline et de cette vitesse qui accaparent mon être tout entier, et imagine même pouvoir défier le temps. Car ma vie rime à cela pas vrai?

Tenter d'être toujours plus rapide, afin de faire disparaître ces trente-six secondes de ma tête. Ces trente-six secondes qui ont fait la différence, et qui m'ont condamné à périr tandis qu'il était aimé.

Voilà à quoi se résume ma putain de vie et ma putain de destinée !

Vouloir constamment prouver, que j'en valais la peine moi aussi. Que comme lui, je méritais une famille.

Mon regard est désormais aveuglé par la haine, je ne vois que son visage et ses grands yeux qui me narguent. Mon rythme cardiaque s'accélère comme lorsque je m'apprête à me battre, mais il n'y a personne en face de moi. Personne à part ces phares lumineux dans la nuit qui me font comprendre que je ne suis pas sur la bonne voie, encore une fois. Il est trop tard, encore une fois. Le véhicule me percute à vive allure et je me sens projeté dans les airs, avant de m'écraser au sol comme un oiseau meurtri, à qui on venait de couper les ailes.

...

C'est un jour de pluie, il y a de la boue partout autour de moi. Maman m'a obligé à mettre un costume noir, elle a dit qu'aujourd'hui était un jour spécial et que je devais être bien habillé, alors je n'ai pas ronchonné et lui ai fait plaisir même si cette tenue n'est pas confortable.

Je ne sais pas pourquoi nous sommes tous réunis dehors devant ce grand cercueil, je ne sais même pas qui se trouve à l'intérieur. Lorsque j'ai demandé à maman qui était mort, elle n'a pas voulu me répondre et s'est contentée de me dire : "Je t'expliquerai tout un jour d'accord?". Elle m'a ensuite tendu un faible sourire et m'a caressé les cheveux.

Insensible (terminée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant