Keiro

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Dès qu'il posait un pied sur scène, le public se taisait. Un silence total venant d'une assemblée pourtant si bruillante de mots, d'insultes faciles et de haine.

Pourtant, à peine entrait-il sur la piste, à la vue de tous, au jugement du monde, que la magie opérait.

Dans son costume un brin trop grand pour lui, un éclat ne pouvait être ignoré. Ses yeux se levaient avec timidité sur l'assemblée, balayaient la salle, se rendant compte du nombre qui était venu une fois de plus ici, sous ce maudit chapiteau.

Son regard était d'émeraude, ses cheveux en bataille rappelaient ces vastes prairies verdoyantes qui n'existaient plus que dans les contes, et ses joues constellées de taches de rousseurs lui donnait un air enfantin. Et toujours cet éclat venu de nulle part, qui faisait taire les foules, rendaient sourds les mots.

On ne lui donnerait pas plus de douze ans, avec une bouille pareille, souvent rougit d'une gêne timide, d'un manque de confiance en soi évident, d'un mirage d'innocence.

Il en avait en réalité quinze, mais ce n'était plus important, maintenant.

Le public, assit en cercle autour de lui, derrière les barrières qui les séparaient de la piste, attendait. Ils attendaient qu'il fasse son numéro de spectacle, qu'il ouvre la bouche pour commencer.

Mais il ne pouvait pas.

Il ne voulait plus.

Cette humiliation quotidienne, cette vie, ce vide au fond de lui, il n'arrivait plus à le supporter.

Il jeta un seul coup d'œil derrière lui, vers les coulisses, et lorsqu'il vit cette carrure, ce qui l'attendait si il refusait de faire son "travail", sa gorge se noua.

Il repensa à celui qui attendait dans sa cabine, celui dont le numéro se jouait juste après le sien. Celui dont la vie pouvait être brisée d'un battement de cil, si il essayait quoique ce soit.

Celui qu'il ne pouvait se permettre de perdre.

Il ramena son attention sur les gens tout autour de lui, déglutit face à cette masse dont il ne s'habituera jamais au nombre ni à la vue, cette masse qui l'écrasait, l'étouffait, le déchiquetait un peu plus à chaque représentation.

Il devait y aller.

《 La Terre est ronde. 》

Ses mots censés ne touchèrent personne, mais provoquèrent une vague de rires. Le rire que l'on faisait lorsque l'on entendait quelque chose de ridicule, une blague reposant sur une stupidité exagérée et du non-sens absolu. Une vague qui s'abbattaient sur lui, tel un tsunami, qui l'emportait, le rendait si petit et ridicule, face à eux, face au monde.

《 Les vaccins aident à lutter contre les maladies. 》

Rires fous, blessants pour lui, comme si ce qu'il disait était une blague.

《 Le Soleil est une étoile. 》

Ses mots, il les pensait, il leur donnait un sens, aussi bancal soit-il, parce qu'il savait qu'ils étaient vrais. Mais la foule ne les comprenait pas, puisqu'elle ne pouvait pas les comprendre.

Cela continua encore un quart d'heure, qui lui parut durer une éternité, comme à chaque fois. Les autres pensaient qu'il était un clown surdoué, maître incontesté de la blague idiote et de l'humour absurde, mais les phrases qu'il prononçaient, il y croyait. Cette vérité existait, il en était sûr, mais était incapable de le prouver face à un public venu pour se moquer de ces idées.

Il était un numéro de cirque.

Il était "Deku le clown".

Il était fatigué.

KeiroWhere stories live. Discover now