10. Enterrer les fantômes.

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— Jecrois qu'elle est rentrée à l'auberge.

— Resteavec moi. Il y aura une veillée aux morts ce soir. Nous devons nouspréparer.

Leton était sans appel. Ran hocha la tête et n'ajouta rien. Unefois sur pieds, il marcha aux côtés du vieux berger quil'entraînait sur le chemin de sa maison. Hugo le fit attendre surle pas de la porte et entra sans lui dans l'habitacle. Orc enjaillit avec empressement, leva des yeux brillants de sollicitudevers lui et vint aussitôt s'asseoir en couinant à ses pieds. Legarçon passa une main sur son petit crâne et contempla le chien,emprunt d'une profonde pitié. Chargé de deux couvertures, levieux berger ressortit au-dehors peu après. Il enveloppa les épaulesde Ran avec l'une d'entre elles et se drapa de l'autre.

— Lesveillées sont glaciales, marmonna-t-il, puis, levant les yeux auciel, ajouta : il ne fait pas bon pleuvoir.

— Est-cequ'on peut offrir quelque chose ? Même si elle n'est pasrevenue ? demanda sombrement l'ancien apprenti.

Hugohésita un instant puis hocha la tête :

— Jepense qu'on peut.

— Attends-moi,alors.

Ranavait une idée très claire de ce qu'il voulait remettre à Elkepour son voyage dans l'au-delà. Il savait à coup sûr qu'ellelui serait reconnaissante d'y avoir pensé. Cette certitudeacquise, il courut sur les sentiers boueux en direction de labergerie. Même au cœur de la nuit, il était persuadé qu'iltrouverait l'endroit où elle avait caché son trésor. Il ne luifallut pas longtemps pour atteindre la grange branlante aux relentsde foin et se glisser dans l'étable accolée à celle-ci. Iltâtonna le plancher de ses pieds à la recherche de la latte bancalesous laquelle Elke avait pour habitude de dissimuler son épée debois. Lorsqu'il la trouva enfin, il la souleva et extirpa le paquetde nippes qui l'enveloppait.

Ilfut soudain pris d'un puissant pincement au cœur. Il n'avaitjamais éprouvé un quelconque attachement pour cet objet, mais ilsymbolisait tout ce qu'il lui restait de son amie, à présent. Ilsongea à le reposer dans sa cachette et à le garder auprès delui ; l'amener à la veillée pour la présenter en offrandene semblait plus être une si bonne idée.

MaisRan se rappela qu'il s'agissait de faire un ultime geste pourElke, et qu'il ne pouvait conserver quelque chose d'aussiprécieux pour lui. Il serra le paquet de nippes contre lui pendantun moment. Il le pressa contre son front, essuyant les larmes quicoulaient avec.

— C'estvrai que je ne te reverrais pas ? demanda-t-il tout bas.

Ildécolla enfin son visage de l'objet, y fit glisser une dernièrefois son regard, puis remit la latte à sa place, ajouta un peu defoin dessus et s'élança hors de la grange.

Àl'extérieur, il vit quelques villageois entraîner les chevaux del'escorte dans les étables ; certains le connaissaient etpouvaient, s'il l'apercevait, solliciter son aide. Il fit uneffort de discrétion et s'esquiva dans les ruelles obscures.

Hugol'attendait toujours devant sa petite bicoque. Lorsqu'ils serejoignirent, ils prirent ensemble la route vers l'autel de Degor.Le vieux mentor avisa la boule de tissus que tenait Ran et demanda cedont il s'agissait.

— Unsecret bien gardé ? fit vaguement l'intéressé.

— Allonsdonc.


Dansle secret d'une futaie laissée intacte par la volonté de pieuxancêtres, à l'écart du village, avait été creusé un dédalefunéraire. Ces nombreuses cavités circulaires rendaient le soltraître, si bien que chaque arbre avait été émaillé de cordesblondes, noires, et pourpres pour contrer l'errance des imprudents.L'enchevêtrement de ces cordes sous les frondaisons, habillant lerepos des morts, avertissait ainsi du caractère sinistre du bois.Ilétait dit dans l'enseignement de la foi qu'elles arrimaientégalement le monde réel à celui des défunts et de fait, quiconquepénétrait dans le bosquet se trouvait en compagnie de la consciencedes morts qui y étaient enterrés. Par conséquent, rares étaientceux qui foulaient la sente forestière avec aisance, et seul unpassage exempt de danger existait pour accéder au dédale. C'étaitpar une chaussée de pierre, orientée en direction du village, quel'on s'enfonçait dans ses couloirs. On ne rencontrait qu'unobstacle avant d'entrer dans le bois : l'autel de Degor*.

La Légende de Doigts GelésWhere stories live. Discover now