5. Nouveaux visages.

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Lorsqu'elle dépassa les dernières maisons, l'escorte s'élança au galop dans la pente herbeuse, sur l'étroit sillon de terre que la foulée récidivée des hommes avait creusé. Elke retrouva une sensation ténue, celle qu'elle avait éprouvée la première fois qu'on lui avait permis de s'élancer au galop sur un cheval, il y avait trois ans de cela. Ce jour-là, elle avait ressenti tout ce que l'animal possédait de dangereux, en vitesse et en fougue. Elle n'était pas remontée depuis, ayant manqué de se rompre le cou, et de piétiner quelqu'un au passage. Le souvenir de la sévère réprimande d'Osbern l'avait dissuadé de recommencer.

« Quelle direction ? demanda succinctement son cavalier, une fois le versant dévalé.

Les petites éminences rocheuses sur le dos rond des collines verdoyantes se détachaient sur le ciel gris et striaient l'horizon de leur rugosité sombre ; impossible de voir par-delà. La jeune fille conservait cependant en mémoire les éléments qui révélaient, telles des bornes, le chemin jusqu'au Bois Noir. Elle désigna du doigt un large passage entre deux petites collines rocheuses.

— Il faut contourner celle de droite, répondit-elle.

Le guerrier tira sur les rênes et sa monture s'engagea vers l'endroit indiqué, gravissant la pente avec force hochements de tête. Le bruit étouffé des sabots sur l'herbe leur apprirent que le reste du cortège les suivait de près. Lorsque le relief fut derrière eux et qu'ils eurent à nouveau plonger dans un creux, on donna l'ordre de faire une halte. Le temps que la chétive cavalerie se conjoigne, Elke s'enquit avec courage du nom de son compagnon de selle. Martel , fut sa brève réponse.

« J'ai cru comprendre que vos gens aimaient à laisser traîner leurs oreilles. Nous parlerons plus à notre aise ici, s'exclama alors le seigneur en malmenant le mord de son cheval.

Le sorcier s'arrêta tout près de lui, comme une ombre silencieuse.

— Les nouveaux visages sont rares ici, nous sommes aux confins du royaume... alors imaginons un seul instant voir venir le vôtre, sire, lui répondit le Chef.

Asgeir laissa échapper un rire tandis que le servant du Roi pinçait comiquement les lèvres. Elke, qui perçut cette légère manifestation de l'humeur, se mit à l'observer sans retenue. Il surprit cet examen curieux mais s'en détourna presque aussitôt avec indifférence. Elle cessa donc de le lorgner.

— Parlons sérieusement : avez-vous une idée de comment nous rendre jusqu'au Bois Noir de Saint-Ondre ? avisa le châtelain.

La discussion semblait n'inclure personne d'autre que lui, le sorcier et le Chef. Autour, les chevaux piétinaient et renâclaient. Les soldats détaillaient le paysage tel des pérégrins depuis la visière de leur heaume. Leurs armures au chatoiement terne miroitaient vaguement la clarté des nuages. Les guerriers, vêtus en teintes telluriques, avaient l'air quelque peu grossiers aux côtés de la garde, et ils dévisageaient par en-dessous, comme par souci de discrétion, ces inconnus masqués, ainsi que leur maître. Il régnait une tension incommode qu'Osbern, tout comme le seigneur qu'il renseignait, ignorèrent complètement :

— En regard de l'interdit qui frappe cette lande, personne n'a moyen de le savoir, sire. Moi-même je ne le peux pas. Je suis là en tant que garant de mes hommes, et puis parce que je me sens particulièrement concerné par la situation. Mais cette fillette, ajouta-t-il en désignant l'intéressée, est une bergère. Elle est l'une des rares personnes que vous avez autorisé à arpenter ce côté-ci de vos terres. Sire, je fais appel à votre indulgence : ne lui en veuillez pas, c'est la seule parmi nous à avoir découvert un chemin qui mène au Bois Noir, et la seule à même de nous y conduire. Jamais, jusqu'à ce jour, elle n'a révélé ce secret, je vous en donne ma parole.

La Légende de Doigts GelésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant