Partie 1

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Un jour, nous nous sommes retrouvés sous un arbre, à la lisière du village.

Je n'avais pas la moindre idée de la raison qui avait poussée mon mentor à me donner rendez-vous à cet endroit, à cette heure aussi avancée de la journée. Le peuple Félin était un peuple nocturne, et il était très rare de trouver âme qui vive alors que le soleil était à son point culminant. Ce qui rendait ce rendez-vous d'autant plus étrange...

C'est pourquoi la première chose que j'ai faite lorsque j'ai vu la silhouette souple d'une once s'avancer d'entre les habitations a été de lui demander :

— Nemlir, que faisons-nous ici ?

Les contours de la panthère se sont brouillés, et à sa place est apparu un homme d'une cinquantaine d'année aux pupilles fendues. Nemlir, celui qui m'avait tout appris, mon père de cœur. C'est ainsi chez le peuple Félin : l'enfant ne reste qu'un court temps avec ses parents biologiques, avant d'être confié à une autre personne, qui prendra soin de lui jusqu'à ce qu'il soit capable de se débrouiller seul. Et il avait été le seul à accepter de transmettre son savoir et ses capacités à une tigresse borgne...

Il m'a souri chaleureusement, un de ces sourires que je ne lui voyais que rarement, lorsque j'avais dit ou fait quelque chose d'exceptionnel -ou bien qu'il attendait de moi quelque chose de plus exceptionnel encore ! Et puis il m'a annoncé :

— Ta formation est achevée, tigresse. Il est temps pour toi de partir.

J'ai cligné des yeux, incapable de croire ce que je venais d'entendre.

— Impossible, je ne suis pas encore majeure, ai-je protesté bêtement.

— Et il te manque aussi un œil, a-t-il raillé de sa voix enrouée dont chaque inflexion m'était familière. Tu as d'autres observations stupides à faire ?

— Mais je...

Il a planté son regard dans le mien, ses pupilles bleu-vert m'arrêtant net dans mes protestations.

— Ta formation est achevée, a-t-il répété. Je n'ai plus rien à t'enseigner. Ce qu'il te reste à apprendre du monde, tu devras le découvrir par toi-même. Tu connais la règle : plus un mot !

Estomaquée, je me suis contentée de l'observer, attendant qu'il éclate de rire, qu'il se moque de moi pour avoir cru à sa blague avant de m'entraîner dans une de ces chasses effrénées dont il a le secret. Pourtant, nulle étincelle narquoise ne brillait dans son regard.

Seulement de la fierté et une pointe de nostalgie.

Alors, appliquant la règle enseignée à tous les Félins qui commencent leur formation, je me suis tue. J'ai ravalé les larmes qui me montaient aux yeux, repoussé l'instinct qui me poussait dans ses bras. Je me suis contentée d'acquiescer.

Et puis je me suis glissée dans ma forme de tigre et je suis partie en courant, le regard de mon mentor me brûlant la nuque.

Je ne me suis pas retournée.

Une Assassine aux longs crocsWhere stories live. Discover now