Martyrs

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Zut ! Ils en sont à l’Evangile! En plus dans ces messes en latin, impossible d’arriver discrètement ! Tant pis, je vais rester au fond. Là-bas, dans le petit coin sombre !

Anne-Victoire ne va pas me voir. Je ne la vois pas non plus. Je  n’aurais pas dû venir. Hier je me suis laissé persuader, j’avais encore son petit discours à l’esprit et le Bordeau qu’on nous avait servi m’avait rendu conciliant. J’aurais mieux fait de rester dans mon lit !

Je m’en aller d’ailleurs. Discrètement, ni vu ni connu j’t’embrouille ! Je me glisse doucement vers la porte, me faufile vers l’extérieur en essayant de ne pas faire grincer la porte.

Mais quelque chose m’arrête net. Pourquoi faut-il qu ’Anne-Victoire tourne la tête à ce moment là et me regarde d’un air si triste ?

Mais ? Quelqu’un vient de me pousser violemment.

Un coup de feu et puis, quelques secondes après, une douleur insoutenable à l’épaule gauche.

Je me retiens de hurler et me retourne.

Ce que tout le monde redoute mais que personne n’ose imaginer ce tient là: deux hommes en noir, kalachnikovs en bandoulière, criant “Allah akbar !”...

Etrangement je n’ai pas peur. Les autres non plus d’ailleurs. A part quelques enfants qui se mettent à pleurer doucement, le reste de l’assistance ne semble pas particulièrement ému.
Comme si cela leur paraissait normal…
Il aurait sans doute mieux fallu ne pas bouger, mais c’est trop tard, je rejoins le rang d’Anne-Victoire et Philbert sous la rafale du premier djihadiste.

Aucune balle ne m’atteint. Plusieurs personnes touchées s’écroulent en gémissant de douleur.

Rouge mon épaule, rouges le sol et les blessures, rouge la chasuble du prêtre, là-bas…
L’autre homme a rejoint l’autel et l’égorge doucement, sans trembler.

Quand je rejoins enfin Anne-Victoire, cachée derrière un pilier, elle est à genoux devant son frère, évanoui et plein de sang.

Sans  perdre une seconde (elles nous sont toutes comptées)  je charge Philbert sur mes épaules et entraîne en courant sa soeur vers la sacristie. Il est peut-être encore temps de nous sauver !

En me retournant je vois Aymeric  blessé se jeter sur l’un des hommes, le désarmer puis l’assommer. Je souris intérieurement, forcé de reconnaître l’utilité des “élèves officiers"...

Mais Anne-Victoire m’échappe et se met à courir vers un coin de la cathédrale. Elle me crie:

-Le tabernacle!

J’aurais dû m’en douter ! Son âme de petite catholique pleine de zèle ne peut pas laisser ces hommes profaner les hosties !
Mais moi je ne peux pas la laisser s’exposer à une mort à peu près certaine !
J’y vais.

Philbert toujours sur les épaules, je la ratrappe, lui ordonne de se cacher, ouvre (un peu violemment je l’avoue !) le tabernacle, attrape le ciboire et cours. Même si Aymeric  a désarmé l’un des terroristes, l’autre continue de tirer.

Où-est encore cette fille ? Je me rue dans la sacristie. Elle n’y est pas !

Non… Non ! Pourquoi elle ? Seigneur s’il y en avait une à épargner c’était bien elle!

Je m’agenouille lentement, dépose auprès d’elle le corps toujours inanimé de Philbert et tente de la comprendre.

-Tu..tu as les hosties ?

Chère Anne-Victoire ! Même en pleine hémorragie, même en grimaçant de douleur, les yeux pleins de larmes, tu restes toujours fidèle à toi-même !

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