La femme entièrement vêtue de blanc

5 2 0
                                    

— Te revoilà enfin.

Gareth fait volte-face à ces mots, soufflés au creux de ses écouteurs. Il reconnaît la voix de la fillette mais ce n'est plus tout à fait elle qui se dresse à deux pas de lui. Elle ressemble désormais à une jeune femme, la peau toujours aussi claire, la robe toujours aussi blanche. Sa tête vole désormais à quelques centimètres de son cou, les deux séparés avec une netteté chirurgicale, la gorge ouverte sur une chair livide et exsangue. Ses bras se terminent sur des moignons plats tandis qu'une dizaine de mains lévitent autour d'elle. L'une se cache derrière les mèches de ses cheveux de rouille, une autre plane en un signe amical à hauteur d'œil, une troisième s'appuie sur sa hanche.

Gareth sent la pression désagréable des électrodes sur ses tempes moites. Il cherche autant sa respiration que ses mots. Jamais son code n'aurait dû permettre des formes si évoluées et monstrueuses, c'est une certitude.

— Que me voulez-vous ?

Sa langue est pâteuse, sa voix plus éraillée qu'il ne s'y attendait.

— Nous avons besoin de toi, Gareth. Nous voulons nous sentir plus... réels.

Réel. Ce mot grésille dans ses écouteurs et le frappe de plein fouet. Il recule contre le mur, les paumes tendues devant lui. Il ne comprend pas ou refuse de comprendre. Le cœur du programme des sylphes n'est pas son travail mais il sait qu'aucun développeur n'aurait pris la peine de coder de telles facultés. Ce genre d'états d'âme ne représente pour eux que des cycles processeur perdus. Se mordant la lèvre, il tente d'imaginer le procédé logique qui permet à cette IA d'appréhender sa virtualité.

La femme semble réaliser son désarroi. Deux de ses mains volent jusqu'à lui et tapotent la monture de ses verres.

— Nous ne prenons chair que lorsque tu nous perçois : ce que tu vois, vit, ce que tu ne vois pas, dépérit. Loin de toi, nous ne sommes que des spectres. Mais dans tes environs, dans ton champ de vision, nous nous sentons réels, nous nous sentons vrais. Et nous avons besoin de ça.

Ses lunettes influenceraient-elles l'environnement qu'elles matérialisent ? Gareth n'y croit pas. Les programmes de simulation et de visualisation sont hermétiques. C'est pourtant la seule hypothèse qu'il puisse formuler pour le moment, et il doit en avertir ses collègues. Il faut suspendre l'activité des IA le temps qu'ils analysent l'état de leurs mémoires et de leurs processus.

Il sort son portable d'une poche de son jean et cherche dans l'annuaire le numéro de son supérieur. Les mots « Simon – Inner Avalon » s'affichent sur son écran mais la femme ne lui laisse pas le temps de l'appeler. Une main s'approche de Gareth et lui saisit le poignet. Ses yeux rouges luisent maintenant d'un reflet froid, calculateur et cruel. A-t-elle compris ce qu'il tentait de faire ?

Ses doigts immaculés s'emparent du téléphone et le jette au loin. Gareth repousse les autres mains qui voltigent autour de lui. Il veut fuir.

Des centaines, des milliers de sylphes occupent désormais la rue, saturent le passage et se pressent vers lui. Des araignées mécaniques, des trolls liquides, des essaims de girodynes miniatures, des éléphants de mercure, des geckos volants, des drones de toutes les formes et de toutes les tailles. Tous le dévisagent comme un dieu offert en sacrifice.

Déjà les mains de la sylphe lui saisissent les épaules, lui agrippent les bras, les chevilles, tirent sur ses cheveux, l'enserrent, l'immobilisent. Gareth veut crier mais une paume froide se colle sur ses lèvres et étouffe son hurlement. Il s'étrangle, son regard s'agite en tout sens. Quelques silhouettes dans la foule scintillent sans raison ou s'effacent un bref instant. Dans ses écouteurs, la rumeur de la multitude se transforme en un rugissement saccadé.

Ses paupières se ferment, sa tête bascule en avant, tous ses muscles se relâchent. Gareth perd connaissance.

Les enfants d'AvalonWhere stories live. Discover now