Le champ des possibles

51 7 16
                                    

François et Paolo étaient arrivés tôt au Studio. En l'absence de Jérémy ils réfléchissaient à haute voix, un café à la main, sur le parallèle entre l'homme et la machine.

— Donc pour toi chez l'humain, commença François, le cerveau est un circuit électrique biologique dont les informations circulent par le biais d'un réseau de neurones. Okay ?

— Carrément, c'est l'esprit qui capte et pousse les informations dans le système. Du coup, pour obtenir un maximum d'informations, le cerveau est en contact avec l'extérieur grâce aux cinq sens : les yeux pour l'image ; les oreilles et la boîte crânienne pour le son ; la peau, les poils et les cheveux pour le toucher ; la langue et le nez pour le goût ; le nez pour l'odorat.

Et tu fais le parallèle avec quoi pour un ordi ? questionna François.

— Pour une IA et un ordinateur, c'est le processeur, le réseau de composants électroniques dans lequel circulent les informations et le programme qui traite et pousse les informations.

À l'heure actuelle, le processeur est en contact avec l'extérieur grâce à 3 sens : la caméra pour l'image ; le micro pour le son, et potentiellement des mécanismes avec retour de force pour le toucher. Pas d'odorat, pas de goût.

Les deux hommes se regardèrent pensifs.

Puis, comme un seul homme ils se jetèrent sur le clavier de LIAM.

— Attends Paolo, l'interrompit François. Tu sais que Jérémy va nous tuer si on fait un truc sans le consulter. Il était vraiment pas content la dernière fois.

— Vu sa vision du monde, j'en ai pas grand-chose à foutre de ce qu'il en pensera.

— Oui mais quand même. En plus tu ne crois pas qu'il nous faudrait une autorisation pour que LIAM ait accès à des périphériques qui simuleraient des sens ? On passerait à la première phase de l'exploration de son environnement. N'est-ce pas la limite de « tension » qu'il ne faut franchir qu'après une réflexion collégiale ?

— Écoute Versus (il se disait qu'utilisait son surnom permettrait de le convaincre plus facilement), on a pour mission de développer une IA d'un nouveau genre. Si on passe par la hiérarchie, tu sais bien qu'il va nous falloir plusieurs jours pour avoir une réunion et plusieurs jours pour avoir une réponse. C'est trop long pour moi.

Paolo laissa ses paroles flotter quelques secondes et reprit :

— Nous savons, grâce à ton travail sur le processus de reconnaissance du langage, qu'il a l'interface nécessaire pour une compréhension de la voix humaine avec un taux de réussite proche des 80 % et nous avons ce qu'il faut pour lui donner une reconnaissance de l'environnement plus que satisfaisante. Que ce soit pour la reconnaissance des visages ou l'observation de son environnement. On ne le connecte pas au web pour le moment, d'accord. Mais imagine ce qu'on pourrait développer si on lui donnait la vue et l'ouïe ? Tu pourrais enfin le tester l'outil de machine-learning sur lequel tu bosses depuis quelques semaines avec tonton Jérém.

On commencera par un truc lambda si tu veux, genre la reconnaissance des maladies sur les feuilles de salade.

François était dans ses pensées. Il se tordait la bouche pour mieux mordre l'intérieur de sa joue.

On touchait au second virage décisif du projet. Après lui avoir fait passer le Turing grâce au moteur d'Eliza amélioré, il fallait pour aller plus loin, lui donner accès au monde extérieur. En tout cas, son environnement proche. Tout ce à quoi il pouvait avoir accès sans être connecté à internet.

LIAM était maintenant capable de dialoguer avec un humain mieux que ne le faisait l'IA de son smartphone car lui savait demander des précisions quand il ne comprenait pas une phrase. Il était désormais capable de modifier sa base de connaissance en fonction des réponses. Ils n'avaient certes pas atteint le niveau d'un conférencier mais ils progressaient tous dans ce sens.

Nouvelle conscienceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant