Perdu dans le Maghreb

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Je suis assis à mon bureau, une feuille blanche sous les yeux. La lumière s'infiltre par la fenêtre, transperçant les rideaux bordeaux qui me cachent de l'extérieur. Les murs plus tout à fait blancs sont nus et la peinture s'effrite par endroits. La pièce est presque vide, mis à part une commode, un bureau, une chaise et moi. Malgré ce ventilateur au bruit assourdissant j'ai chaud, très chaud. Des perles coulent sur mon front, mes mains sont moites et mes vêtements en lin me collent à la peau. Je recoiffe ma moustache et tente de me reconcentrer. Que de pire pour un écrivain qu'une page vierge ? Qu'écrire quand son cerveau, son cœur est complètement vide ? 

Dans le but de me motiver, je brandis ma plume et griffonne un titre. Cependant cela ne me convient pas. Je le barre. Une odeur de dattes séchées parvient à mes narines. Cette dernière m'est devenue si familière ces dernières semaines. Mes yeux sont attirés par-delà la fenêtre, où un homme en robe blanche monte sur un dromadaire. Quelle drôle de bête tout de même. Ces animaux sont pour les gens d'ici l'équivalent de la vache pour nous. L'homme, désormais prêt à partir, entame son chemin et disparaît entre les dunes de sable, porté par un animal chargé de vivres. Mon âme divague. Mon regard est captivé par tout : le beau et le laid, les gens et les objets, l'intérieur et l'extérieur...Tout, sauf le papier posé sur le bureau. Mes pensées se promènent entre les dunes de sables et les dattes séchées. Pourquoi ne puis-je pas réfléchir ?

Je me lève et fais les cent pas. Je passe la main dans ma moustache et réfléchis. Je me rassieds. Cette impression d'avoir des bourdons dans les oreilles me met sur les nerfs. C'est ce ventilateur qui m'entête ! Je l'éteins et mon esprit s'apaise. Réfléchissons. Par quoi pourrais-je commencer. Comment vais-je introduire le sujet ? Avant que je ne puisse tremper la plume dans l'encre bleue nuit, quelqu'un ouvre la porte. C'est Ali. Tout sourire, il m'annonce dans sa langue maternelle que mes babouches sont enfin prêtes. Il m'invite à découvrir son « chef-d'œuvre », comme il l'appelle, dans la pièce d'à côté. Je le suis et aperçois la paire de chaussures. Je m'approche et l'examine : elle est couleur caramel et soleil, comme je l'avais demandé, elle part en pointe et rebique vers les orteils, des points et des demi-cercles délimitant les deux couleurs. Ces babouches sont magnifiques. Je remercie mon ami et rapproche la paire de mon visage pour en observer tous les détails. Lorsque celle-ci atteint mon nez, l'odeur du cuir emplit mes narines. Elle sent le vrai cuir, celui du pays. La senteur parvient jusque dans mes poumons et j'en profite pleinement. Je lève les yeux et entrevois la lune par la fenêtre. J'ai passé la journée entière dans le bureau sans pouvoir coucher un mot sur ce papier toujours blanc. Je suis indécis. Peut-être devrais-je laisser tomber pour ce soir. Mais la simple idée de laisser cette feuille sans aucune tache d'encre, hormis le titre barré, qui rend la feuille d'autant plus laide, me laisse insatisfait.

Mon esprit baigne dans le néant. Toujours aucune idée en tête. Je me sens mentalement faible, comme s'il manquait quelque chose. Je m'enfonce dans un trou noir, démuni de toute pensée, et m'y laisse entraîner. Lorsque je remonte à la surface, la réalité écrasante me rappelle qu'il m'est impossible d'écrire. Ali a quitté la salle. Je coiffe ma moustache, enfile les babouches et me dirige vers la porte. Il est préférable de prendre congé. De toute manière, je n'arriverai à rien. Après tout, j'ai toute la vie devant moi pour écrire. 

Perdu dans le MaghrebOù les histoires vivent. Découvrez maintenant