^ Partie 2 ^

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Je l'avais croisé dans un bar, environ une semaine plus tard, aux alentours de vingt-deux heures. Ce soir là, il portait un jean bleu foncé délavé, un grand tee-shirt blanc à manches courtes et des baskets simples noires. Je l'observais depuis près de cinq minutes sans oser l'aborder, quand il me remarqua enfin. Je feignais ne pas l'avoir vu alors il m'interpella.

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- Hey ! Salut !

Il avait remarquer que je le détaillais des pieds à la tête, et il se mit à sourire.

- Ça te dit de boire un verre ? Je n'attend personne.

- Pourquoi pas, je suis seule aussi. On se tutoie alors ?

- Oh désolé, je n'ai pas pensé mais si tu préfère que...

- Non non c'est mieux comme ça !

- Et hum... tu veux bien me dire ton prénom ou tu vas t'enfuir comme la dernière fois ? Je sais que je n'ai pas le physique d'un athlète, mais bon quand même !

Nous avions ris.

- Andrea. Je m'appelle Andrea.

Cette nuit de pleine lune, nous avions discuté jusque très tard, d'abord au bar puis ensuite à mon appartement. Quand il partit, j'avais le sentiment d'avoir enfin trouvé un véritable ami, et il s'avéra qu'il devint bien plus au fil des mois que nous passèrent ensemble. J'avais un appartement et un travail convenable, ainsi qu'un chat et un copain tous deux merveilleux. De quoi être pleinement heureuse.

Mais deux ans plus tard, ce jour arriva. Je revis ce moment chaque fois que je ferme les yeux. C'était en début d'après-midi, il devait être aux alentours de 15 heures. Il faisait très chaud pour un mois de mai. Je portais un short noir, une chemise rose pale et avait aux pieds des talons avec des lanières en tissu noir montant jusqu'au dessous des genoux. Je marchais vite ; j'étais en retard à mon rendez-vous avec Simon. Je traversais la route au pas de course, n'ayant pas vu que le feu s'était coloré en vert. Une voiture a débouler à toute vitesse, et freiner au dernier moment pour m'éviter, en vain. Je fus percutée de plein fouet et roulais sur le pare-choc de la voiture qui avait ralenti tant bien que mal. J'étais étendue par terre, les yeux à moitié ouvert. Je voyais flou et n'entendais que le brouhaha étouffé des gens affolés qui se presser autour de moi sans vraiment réagir. Après un laps de temps qui m'avait paru durer des siècles, des hommes en blanc étaient apparus et me transportaient dans une sorte de camionnette. Je me rappelle encore que quelqu'un me parlait, mais sa voix semblait venir d'extrêmement loin, et je ne comprenais pas ce qu'elle me disait. Je ne pourrai détailler la suite avec précision, car j'ai perdu connaissance au bout de quelques minutes, mais je sais en revanche que lors ce que j'ai ouvert les yeux, plusieurs semaines étaient passées.

Quand, au bout de quelques mois de coma, je me suis enfin réveillée, j'ai tout de suite senti qu'une main tenait la mienne. Mais ce n'était pas la main de Simon, ce n'était pas une main d'homme. C'était une main de femme, une main douce, fine. Seulement, je ne connaissais pas de femme susceptible de rester mon chevet. Alors j'ai ouvert difficilement les yeux, et levé la tête. Et là, ce fut un choc. Je suis restée sans voix tandis que des larmes commençaient à rouler sur mes joues. J'aurais pu la reconnaître entre mille. C'était elle, c'était ma mère. Ma maman, celle que j'avais perdu à mes quatre ans et que je pensais ne jamais revoir. Nous nous sommes dévisagées pendant de longues secondes, puis j'ai réussi à articuler un mot d'une voix tremblante.

- Maman ?

Elle s'est alors jetée sur moi et nous nous sommes serrées aussi fort que nous le pouvions, comme si nous avions peur que l'une de nous s'échappe, peur que l'on soit à nouveau séparées.

Ça fait maintenant plus d'un an et demi que je vis à Barcelone, avec mon magnifique chat noir, Bagheera. Après m'être réveillée de mon coma qui avait duré environ quatre mois, j'avais décidé de déménager en Espagne afin de « changer d'air ». Simon ne pouvait pas m'accompagner, alors nous nous sommes séparés en nous promettant de rester au moins bons amis, puis je suis partie. Au début, j'enchaînais les petits boulots, qui me permettaient de vivre assez convenablement, puis un jour j'ai postulé dans une très grande entreprise d'architecture, d'abord comme simple secrétaire, et est ensuite peu à peu montée en grade. J'habite désormais dans une grande et jolie maison -dont j'ai conçu moi-même les plans bien entendu, à quelques rues seulement de celle de ma mère, qui n'a pu se résoudre à me laisser partir sans elle. C'est elle qui m'avait renversée avec sa voiture ce fameux jour, et elle avait encore un peu de mal à s'en remettre. Ni elle ni moi n'avons jamais parlé de notre longue séparation, mais aujourd'hui, ça fait deux ans jour pour jour que je l'ai retrouvé, et il est temps pour moi d'apprendre la vérité ; la raison pour laquelle elle était partie.
Mon réveil sonne pour la énième fois et je sors de mon lit avec difficulté. Hier encore, j'étais déterminée à connaître la vérité, mais toutes mes certitudes se sont envolées à la minute où j'ai ouvert les yeux ce matin, la boule au ventre. J'avale rapidement un anti-douleurs puis file me préparer avant d'être en retard.
Je sors du travail vers dix-huit heures, et rejoins sans attendre ma mère à l'endroit convenu. Je l'aperçois assise sur la terrasse de notre restaurant habituel, visiblement soucieuse, et mon angoisse redouble d'intensité. Si elle-même est inquiète à l'idée de tout me révéler, cela ne peut que signifier que ces infos auront des conséquences, que je serais triste, déçue, ou même en colère. Mais avant que je puisse rebrousser chemin et m'abstenir de toute conversation, elle remarque ma présence, m'obligeant alors à l'affronter. Je me dirige d'un pas peu assuré vers la chaise se trouvant en face de celle de ma mère.

- Buongiurno figlia mia.
*Bonjour ma fille.

Ma famille étant d'origine italienne, ma mère tient à conserver un minimum sa langue natale, malgré ma désapprobation.

- Bonjour maman.

- Tu veux boire ou manger quelque chose ? Le serveur vient de passer, mais je lui ai dit que je t'attendais.

- Non merci, je n'ai pas faim.

Je ravale ma salive et me lance :

- Bon écoute maman, je ne vais pas y aller par quatre chemins ; je veux que tu me dises tout, et ne me ménages pas. Je veux connaître toute l'histoire dans les moindres détails, je suis prête.

Elle plante ses yeux dans les miens afin de sonder mes émotions mais je décide de ne pas lui en laisser le temps et baisse les yeux sur mes mains aux ongles fraîchement manucurés.
Elle pousse un long soupir et, sentant son anxiété, je pose ma main sur la sienne et lui adresse un sourire encourageant, l'invitant à parler.

Maman...Where stories live. Discover now