11 | JANIS JOPLIN, C'EST NOTRE BIBLE À NOUS

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À LA FIN DE CHAQUE TRIMESTRE, et ce depuis un an, Ismaël, Lou, Nolwenn, Aloïs, Swann, David et Maxine se réunissaient pour ce qu'ils appelaient le pow-wow d'Arthur Rimbaud. Ces réunions n'avaient pas vraiment de but ou d'objectifs; on écoutait de la musique, on descendait en flammes le réglement, on lisait quelques phrases, on débriefait sur sa scolarité et on refaisait entièrement le monde. Elles avaient lieu à l'extérieur du lycée, près de l'immense forêt de bouleaux, autour d'un énorme rocher fendillé, grisâtre et entouré de mousse, à qui Aloïs avait octroyé le rôle "totem des mômes fièvreux."

Sur la pierre, au marqueur noir, elle avait inscrit en grosses lettres capitales le nom du rocher. On devinait vaguement juste au-dessous l'écriture en pattes de mouche de David;

"fuyez, les Apaches scalpent"

Aucun adulte et toute autre sorte d'intrus extérieure à la petite bande n'avait jamais été conviés à ces pow-wow.

Pourtant, aujourd'hui, Maxine, Ismaël, Swann, Lou et Aloïs attendaient nerveusement l'arrivée imminente de leur professeur de français.

La veille, Nolwenn avait piqué une magnifique crise de colère, digne d'un maternel refusant de manger ses épinards, pour que monsieur Garance soit autorisé à pénétrer dans le cercle des mômes fièvreux. Puisqu'elle n'avait jamais manifesté d'intérêt particulier ni pour les enseignants ni pour le français, aussi personne ne savait exactement pourquoi No jugeait si important que Garance assiste à leur réunion. Mais ils avaient tous fini par hocher la tête, résignés.

Bientôt, le craquements des brindilles sous les talons des chaussures, les jurons proférés par Nolwenn et les marmonnements de David remplacèrent l'attente légèrement anxieuse qui entourait le totem. Monsieur Garance semblait surpris d'avoir été agressé par deux gamins survoltés, qui s'obstinaient à parler en même temps, mais surtout très amusé par la situation, l'ombre d'un sourire flottant sur ses lèvres.

-Et voilà, dit simplement David en englobant d'un mouvement du poignet le rocher et ses environs. C'est là.

-Minute papillon, le coupa Maxine. Il a pas prêté serment.

Aloïs approuva d'un vigoureux signe de tête, avant de se tortiller pour extraire de sous ses cuisses son sac à dos. Elle y fouilla un instant avant d'en ressortir un vieil album de vinyle, vide, aux bords pliés et légèrement jauni. Ismaël le prit aussi cérémonieusement que s'il s'était agit d'un vase de porcelaine, tourna sur lui-même et présenta l'album à son professeur.

-J'espère que je ne dois pas m'ouvrir le pouce avec un vieux couteau rouillé, je ne suis pas vacciné, plaisanta monsieur Garance.

Swann éclata de rire et un sourire illumina quasi-instantanèment le visage de David, bien qu'il fut beaucoup trop occupé à la dévorer du regard pour avoir réellement écouté la blague.

-Non, je vais juste vous demander de poser une main droite sur Live at Winterland '68, expliqua Ismaël.

-Janis Joplin, c'est notre bible à nous, résuma Swann avec un demi-sourire.

Nolwenn approuva d'un claquement de langue en se laissant tomber entre Maxine et Lou. Monsieur Garance suivit les instructions, sa main aux ongles rongés bien droite sur l'album de la chanteuse.

-Jurez-vous sur l'honneur de ne jamais, ô grand jamais, répéter à quiconque ce que vous entedrez, verrez ou sentirez durant cette réunion? déclama Ismaël.

les jolies jeunes fillesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant