Lorsque je m'installe à la table de la cuisine, les yeux de ma mère se posent directement sur ma main gauche. Elle fulmine tellement que de la vapeur lui sort presque littéralement des oreilles.

— Bonjour, Juliette, commence mon père, qui est le plus diplomatique des deux.

— Bonjour, papa.

— C'est donc vrai, constate-t-il en notant lui aussi l'absence de bague à mon doigt.

— C'est plus compliqué que ça, je corrige d'emblée.

— Tu ne peux pas prendre ce genre de décisions sur un coup de tête, sans en parler à personne.

— Louise, intervient mon père en posant une main sur celle de ma mère. Laisse Juliette s'expliquer.

— Il n'y a pas grand-chose à expliquer, papa, je regrette. Depuis que je vous ai parlé de la proposition de Judie, vous avez mis en jeu ma relation avec Damien alors que ça n'avait pas à se passer comme ça. Il n'y avait pas d'autre façon de résoudre notre désaccord sur la question.

— Alors tu as sacrifié une relation de longue durée, ton futur, pour quelques mois à Londres ? Tu aurais pu y aller avec Damien, souligne maman.

— Tu ne comprends pas, je déplore en secouant la tête. Il ne s'agit pas de Londres : ça m'a permis d'enfin admettre que Damien et moi on ne fonctionne pas.

— Je ne sais pas ce que tu crois, Juliette, mais la vraie vie est différente des films et des romans à l'eau de rose avec lesquels tu perds ton temps. Il faut parfois savoir faire des sacrifices.

Je serre les dents et les poings, encaisse l'insulte sans chercher à répliquer. Mon père non plus ne dit rien. Pas même un mot pour prendre ma défense. Les larmes coulent sur mes joues. Je les efface d'un geste rageur, frustrée de l'avoir laissée m'atteindre et de le montrer.

— Je prends le risque d'avoir tort, je déclare en me levant et en m'efforçant de garder le menton dressé fièrement.

Les deux semaines qui suivent sont très solitaires. Mes parents me font la tête. Aline me fait la tête. Damien ne peut même pas me regarder dans les yeux alors il m'évite. Plus d'une fois, j'ai voulu tous les confronter pour leur demander où est l'amour inconditionnel et le soutien qu'ils me doivent. Ma déception est telle que je ne suis pas sûre d'avoir la force d'essuyer de nouvelles paroles blessantes.

Ils ont diabolisé un choix qui était banal à l'origine, m'ont prêté des intentions qui n'ont jamais été les miennes. Et ils ont aussi expédié mon procès, jugeant que je ne suis pas une bonne chrétienne parce que j'ai osé tenir tête à mon futur époux.

J'ai toujours eu un rapport ambivalent à la religion, mais leur comportement des derniers temps n'a rien arrangé. Parfois, je me demande si mes parents mesurent leurs mots et leur impact. Ils m'ont condamnée en se fondant sur un choix, décidant que toutes mes actions passées, présentes et futures s'y résumeraient aussi. Et apparemment, sans prendre garde à la violence de leur verdict.

Je suis donc au matin de mon départ pour Londres, réduite à devoir prendre un taxi pour me rendre à l'aéroport. J'ai tellement pleuré ces derniers jours que je n'ai même pas eu le temps d'apprécier les préparatifs et de ressentir l'excitation de vigueur pour une aventure de cette ampleur. La migraine lancinante qui m'handicape presque est aussi un rappel que rien ne passe comme cela se devrait.

Maman est partie à la boutique tôt ce matin sans me dire au revoir. Papa est en déplacement en Allemagne et Aline a passé la nuit chez sa meilleure amie. Au moins, tous les emails bourrés de gentillesse de Judie viennent équilibrer le tout : je suis attendue par quelqu'un. Quelque part sur cette terre, je suis acceptée telle que je suis.

The Summer I Met You [Sous contrat d'édition]Where stories live. Discover now