Je préfère sauter le déjeuner et retourner m'allonger.
Mon corps n'accumule plus autant d'énergie qu'avant, je dois le ménager. C'est ce que me dit le docteur quand je vais le voir.
Condition pour rester : pointer tous les jours à l'infirmerie. Vérifier que je ne me drogue pas, histoire de maîtriser quelque chose.
Je n'aime toujours pas ces pratiques ni les mauvais souvenirs qu'elles impliquent.

Noir.
Neige.
Hôpital.
Sang.
Rouge.
Renoncer à dormir.
Je ne retrouverai jamais le sommeil, je crois. Pas après tout ça.
Qui le pourrait, de toute façon ?
Alors qu'on est suspendus au bon vouloir d'un monde qui s'écroule  ?

Des bruits de pas résonnent, tout près du dortoir.
Le nôtre est à l'écart. Il y a peu de passage, c'est le meilleur endroit pour se reposer tranquillement.
Je me recroqueville, par réflexe.

— Tu as entendu parler de ces voitures qui s'évaporent ?

Je tends l'oreille.

— Tu m'étonnes, seul un extraterrestre peut encore l'ignorer.

Deux femmes. Militaires, si je me fie au son de leurs chaussures. Des godasses lourdes et massives. Personne n'a ça, ici, à part eux.

— Hallucinations collectives, intoxication... Tout le monde est paumé.
— Je crois qu'un convoi est sur le point de partir pour examiner le truc. Ils sont supposés rentrer directement à Washington après, ça semble sérieux.
— Washington  ? Par ce temps  ?
— Ouais, il paraît que le président a quitté la Maison-Blanche  ?

Je n'entends pas la suite de leur conversation.

Les voix s'éloignent, le silence m'enveloppe de nouveau.
Je fixe les crevasses sur le plafond blanc. Ainsi, même au plus haut niveau, personne ne sait ce qui se passe...
On n'est pas près de se tirer d'ici.

*

         Mes pas me mènent jusqu'à l'ancienne salle de classe que Joana et moi avons découverte il y a deux jours.
Elle m'attend déjà, toute pâle sous les néons qui clignotent. Ils me rappellent la guirlande de tout à l'heure. Son visage s'éclaire en me voyant, elle semble de bien meilleure humeur. Je me demande ce qu'elle a pu trouver.

— Ferme les yeux.

J'obéis, intriguée.

— TADAAAAAAAAAA  !

Je ris en silence et rouvre les paupières. Qu'est-ce que... ?

— Je l'ai repéré en arrivant, explique-t-elle en me fourrant une boîte dans les mains. Cet enfoiré de garde a failli refuser de me le filer, je crois qu'il l'a chouré. C'est une LoudVox  !

Je hausse les épaules, mon ignorance me joue des tours.
Elle ne se démonte pas et allume l'appareil. Il me rappelle les talkies-walkies de mon enfance, il en a la forme et la taille, mais la similarité s'arrête là. Ce truc n'a que quelques millimètres d'épaisseur. Un écran.
Quand je pose mon doigt, un curseur clignote et un clavier numérique apparaît.

— Allez, écrit quelque chose !

L'excitation de Joana me contamine. Je n'ai aucune idée de ce que je vais marquer. Je décide de rester basique.

Blue.

La voix qui émane de l'appareil me surprend tellement que je manque de le lâcher et le rattrape de justesse. Ce qui fait beaucoup rire Joana.

— En prison, les gardiens en avaient filé à des filles sourdes, ça leur permettait de communiquer. En voyant celui-là, j'ai de suite pensé à toi.

Mes mains tremblent. Parler, même à travers un écran, je ne l'aurais jamais imaginé. Je pourrais me mettre à pleurer, s'il me restait encore des larmes.

— Maintenant, prépare-toi ma vieille, parce que tu vas devoir répondre à toutes mes questions  !

Tant que nous sommes vivantsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant