Elle s'appelle Blue Iris Arrington. Tout le monde l'a toujours surnommée Blue.
Elle est née dans un bled à côté de Los Angeles il y a trente-six ans, mais n'y a pas vécu. Elle a grandi dans l'Ontario, là où sa mère pouvait être soignée. De quoi, je ne sais pas. J'aurais pu le lui demander, mais je doute qu'elle ait envie de répondre.
Elle a été élevée par son père, qu'elle adorait. Elle ignore ce qu'il est devenu, elle n'a pas eu de nouvelles depuis très longtemps.
Ce qu'elle faisait avant ? Aucune idée, elle n'en garde que de très vagues souvenirs.
Plus j'en apprends sur elle, plus j'ai envie de ne jamais la quitter. Reprends-toi, Joana.

— OK, ta théorie sur les voitures fantômes ?
Complot du gouvernement pour augmenter les taxes.
— Notre espérance de vie sur les prochaines années ?
Équivalente à celle d'un papillon asthmatique.
— La probabilité que l'on tombe en pleine tempête sur le seul mec au monde qui sait ce qui se passe ?
Aussi nulle que le nombre de cheveux sur le crâne du Colonel...

Je rigole si fort que ma cage thoracique me fait mal. Blue se bidonne autant. En silence, assez particulier comme spectacle.
J'aime quand elle rit. Son visage s'éclaire, elle récupère un peu sa beauté d'avant.
Je frotte mes yeux rendus humides par mon hilarité.
Il me reste encore tant de questions à lui poser : d'où viennent toutes ces cicatrices sur ses avant-bras, aussi nettes que des coups de cutter  ? Pourquoi est-elle tombée dans les stups  ? Pourquoi aucune lumière ne brille-t-elle dans ses yeux  ?

Merci, Joana.

Je réponds d'un signe de tête. L'avantage d'avoir tant ri, c'est que ça dissimule aussi les traces de tristesse.
Elle pose le boîtier à côté d'elle, accroche de nouveau mon regard.
Pourquoi es-tu muette, Blue  ?
Pourquoi n'arrives-tu pas à dormir  ?
Je t'entends, chaque nuit, te réveiller en sursaut, chercher quelque chose à côté de toi qui n'existe pas.
Pourquoi as-tu gâché ta vie ainsi  ?
Ses yeux restent vrillés dans les miens. J'aimerais tant savoir ce qu'elle pense. Ce qu'elle ressent, aussi.
Je la sens hésiter. Elle avance sa main, puis la retire. Une fois, deux fois.
Et merde.
Je prends les devants. Doucement, pour ne pas l'effrayer.
Mes doigts effleurent les stigmates de son visage, témoins d'un passé qu'elle ne peut que taire.
Dans ses yeux dansent les mots qui ne peuvent pas franchir la barrière de ses lèvres. Son silence s'insinue en moi, enlace le vacarme entre les tempes.
L'apaise.
L'éteint.

Tant que nous sommes vivantsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant