Noir.
Poussière.
Cachets.
Réveil.
Rude.
Sueur.
Cauchemar ?
Manque ?
Aucune idée.Malgré l'heure matinale, le réfectoire fait salle comble. Je cherche Harvey des yeux, sans le trouver. J'espère qu'il a pu se remettre du voyage.
Je ne vois pas Joana non plus. Je ne peux m'empêcher de l'imaginer grommelant dans le dortoir et cette image me fait sourire.
J'aime beaucoup Joana.
Dans d'autres circonstances, nous ne nous serions peut-être jamais parlé.
Tiens, ils ont installé une guirlande, à côté de l'horloge inutile. La trotteuse fonctionne par à-coups, bloquée sur la même heure depuis des jours.
Je me demande où ils ont trouvé ce vestige de Noël et quel jour on est. J'ai perdu le compte.
Comme chaque matin, je ne remplis que le tiers de mon assiette. Mon estomac malmené n'absorbe plus grand-chose.
Je bois mon verre de jus d'orange amère avec lenteur.
« Prenez votre temps, Blue », répétait la psy de la prison. Se focaliser sur ses gestes pour se calmer l'esprit. Contraster avec les milliards de mots qui se percutent dans mon crâne et restent bloqués derrière mes lèvres.
Je m'efforce de me concentrer sur la mastication de ce pain étrangement mou. À ma droite, deux femmes parlent à voix basse, jettent des coups d'œil furtifs dans ma direction.
Je sais ce que j'inspire aux gens.
Haine, dégoût, pitié. Parfois les trois à la fois. Je garde la tête haute, fais mine de les ignorer. Ne surtout pas montrer que cela me blesse. Ni que je ressens la même chose qu'elles.— J'en ai marre de ce foutu simili petit-déjeuner. Des haricots. Sans déconner, QUI peut cuisiner une horreur pareille à cette heure-ci ?
J'entends toujours Joana avant de la voir. Sa présence dissipe instantanément toute ma négativité. J'ai envie de lui rappeler que c'est la fin du monde, qu'on a déjà de la chance d'avoir un toit et de quoi manger deux fois par jour. Je ne le peux pas, et j'ai compris que râler est pour elle le moyen de cacher sa peur.
Elle vide son assiette. Avec lenteur.
Sa main blessée récupère bien. Elle pourra se passer de bandages, bientôt.
Ses yeux se lèvent régulièrement pour observer nos voisins de table. Joana ne fait confiance à personne et se méfie de tout le monde.— Quoi ? Vous voulez sa photo ?
Mes deux admiratrices ne répondent pas. Quelques minutes plus tard, elles s'éloignent sans un regard en arrière.
Eh ben, aujourd'hui sa morosité semble avoir bondi d'un cran.— Pas un, tu m'entends, pas un ! ronchonne-t-elle. Personne n'a rien vu. Aucun. De. Ces. Putain. De. Péquenauds.
Elle cogne son poignet valide contre la table à chaque mot. Les légumes se décollent de sa fourchette et volent autour d'elle. Elle s'en fout.
Je sais ce qui l'obsède : les lucioles.
Je l'ai regardée parcourir la caserne de long en large à la recherche d'informations.
Apparemment, elle n'a rien trouvé.— Y en avait des centaines autour du bus, continue-t-elle. Elles illuminaient les bois quand ils lui ont troué la poitrine. Bordel et ce foutu toubib qu'est pas capable de faire un bandage correctement !
Trop d'agitation, comme dans sa tête, en ce moment.
— J'y retourne. J'ai chopé un truc pour toi, rejoins-moi où tu sais avant le dîner.
Elle s'éloigne.
L'esprit aussi opaque que le brouillard qui continue de recouvrir l'extérieur.

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Tant que nous sommes vivants
Paranormal« Je ne retrouverai jamais le sommeil, je crois. Pas après tout ça. Qui le pourrait, de toute façon ? Alors qu'on est suspendus au bon vouloir d'un monde qui s'écroule ? » Après les évènements de Sur le Bitume et Sous la Cendre, Joana et Blue prenne...