Jude

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Point de vue de Jude, ce matin

Il faut que j'aille chercher le gâteau d'anniversaire de ma sœur qui coûte une blinde. Il est personnalisé à souhait, avec les images de ses chanteurs préférés et tout ce qui va avec. Je ne comprends pas vraiment pourquoi elle a choisi d'avoir la tête de ses idoles masculines à manger mais bon, c'est son seizième anniversaire et mes parents ont mis le paquet. C'est normal après tout, ils avaient fait pareil pour moi. Sauf que j'avais demandé une simple tarte à la fraise. Elle était délicieuse !

Justine, ma sœur passe la moitié de son temps libre à contempler les posters d'acteurs et de chanteurs qui décorent ses murs. Les écouteurs vissés dans les oreilles pour les rendre plus réalistes, plus près d'elle, en écoutant leurs voix. Je n'ai jamais eu des posters masculins dans ma chambre. Plus tard, j'ai annoncé à mes parents que j'aimais les filles. Ils l'ont bien pris, je pense que ça ne changeait rien pour eux.

Je me gare face à la pâtisserie que mes parents m'ont indiqués. Je n'y suis jamais venue. C'est un endroit tout à fait charmant mais c'est à vingt minutes de chez moi, autant dire que je ne passerai pas chercher mon pain tous les matins. Les tons sont roses pastels, dorés, marron chocolat, ça m'ouvre l'appétit ! C'est magnifique !

Je pousse la porte et la femme qui se tient au comptoir m'extirpe immédiatement de toutes mes pensées, de toutes mes rêveries.

De toutes les boulangeries existantes, il fallait que mes parents choisissent celle-là. Ce que je ressens en la voyant est un grand vide, tout et rien en même temps. Puis très vite c'est comme si je ne l'avais jamais perdue de vue. Je pense souvent à elle, en essayant d'écarter au maximum ce qui m'a poussé à m'éloigner, à ne plus donner signe de vie. Je voulais la protéger. Me protéger aussi. Et voilà qu'elle me fait face. Je suis sûre qu'elle doit m'en vouloir au plus haut point. Si elle savait... Bettie. La femme qui se tient en face de moi c'est Bettie. Ma Bettie. Elle a une allure différente, comme une illusion de rigidité mais moi elle ne me trompe pas. Je sais qui elle est et elle n'a pas changé. Je le sais, rien qu'à plonger mon regard dans le sien. Mais je ne veux pas que ça redevienne comme avant. J'ai trop souffert. J'ai déjà tourné la page. Madame Carter. Professeure de littérature et d'art. Notre roman c'est déjà achevé. C'était ce qu'il y avait de plus cliché. Un amour interdit. Mais pas seulement parce qu'elle était professeure et moi sa plus attentive élève. Pour une autre raison qu'elle ignore.

Longtemps elle a dû se demander pourquoi je ne l'ai jamais rappelée, pourquoi je suis partie sans rien dire... Non pas parce que sortir avec une prof était trop compliqué... on gérait bien l'affaire. On était discrètes. Et elle sait mieux que personne que braver l'interdit n'est pas un problème pour moi. Alors pourquoi aurais-je fait ça ? Elle doit encore se le demander... À moins que mon nom rime avec "oubli". Moi-même je n'ai pas du tout envie de repenser à ce qui m'a conduit à partir et pourtant la revoir ne fait que rouvrir la plaie. Ce n'est pas bon. Il faut que je parte d'ici. Je prends le gâteau et je m'en vais.

Nos gestes ne sont pas naturels. Je sais qu'elle s'efforce de ne montrer aucune faille et je sais aussi qu'elle est autant déstabilisée que moi. Ma Bettie. Je paie. Pas assez pour ce que je lui ai fait. Je paie le gâteau et de nouveau je m'en vais. Au revoir madame Carter. Au revoir Bettie.

Mes yeux commencent à rougir, je décide de tourner le dos immédiatement et de m'en aller. La tension est palpable dans tout mon corps.

UNIFORME Terminée ✅ (En réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant