Bettie

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Point de vue de Bettie, ce soir.

Mes pieds moulés dans mes escarpins me font atrocement souffrir. Je ne veux pas appeler de taxi. Je ne veux croiser personne sur ma route. En ce moment même je maudis tout ce que je peux. Les passants, la pâtisserie de Laura et même la pluie qui me fouette le visage.

Je m'abaisse sauvagement et retire mes chaussures de femme impeccable pour courir pieds nus. Je ne suis pas cette femme que j'ai créé de toutes pièces afin d'éloigner mes vieux démons. Mon passé. Comment pouvais-je croire une seule seconde qu'il ne me rattraperait pas ? J'ai tourné la page trop vite et je n'ai fait qu'enfouir, enterrer vivant ce qui me faisait peur, et au final je n'ai rien résolu. J'ai même permis que ça recommence.

Je cours comme une cinglée qui dévale les rues. Une cinquantaine de mètres plus loin je commence à m'essouffler à cause de l'effort mais aussi à cause de la rage qui vient de se réanimer quand je l'ai vu. J'avais tiré un trait sur le passé. J'avais réussi à me convaincre que je serais tranquille. Et elle réapparait comme ça. Détruisant tout, absolument tout. Je sais bien qu'elle n'y ait pour rien et qu'elle a subi autant que moi mais je ne voulais simplement plus rien avoir à faire avec mon passé et elle en fait partie.

Je m'arrête pour reprendre mon souffle. Il faut que je me calme. Ce n'est pas parce que je l'ai croisé par le hasard des choses que ça va changer l'équilibre que je me suis inventée. On s'est croisées, on a fait comme si de rien n'était et rien de plus. Tout à coup je me sens vraiment ridicule, c'est fou comme un rien peut me déstabiliser. Je dois trop travailler ces temps-ci. Heureusement que c'est vendredi soir.

Ce n'était pas rien, je l'ai su à l'instant où nos regards se sont retrouvés après tant d'années et cette idée me fait absolument paniquer. J'en devient folle, me dis-je.

Je regarde autour de moi, reprends mes esprits et remets mes chaussures. Je me résous à appeler un taxi. Je comptais vraiment traverser toute la ville en courant ? Il faut croire que oui et quand je repense à la raison de mon comportement je me dis que je referais la même chose sans hésiter. Seulement le seul moyen de me calmer actuellement est de faire comme s'il ne s'était rien passé, en reprenant mes habitudes. J'indique mon adresse au chauffeur et une vingtaine de minutes plus tard, à cause du trafic du vendredi soir, j'arrive enfin devant les grilles de ma maison. Pour la première fois depuis des années j'ai faibli, j'ai craqué. J'ai manqué à mon devoir de femme irréprochable.

UNIFORME Terminée ✅ (En réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant