Deuil

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Nos yeux à tous étaient fermés, en larmes. Nous étions rassemblés dans la maison, en compagnie des deux habitants terrifiés, autour du cadavre de notre camarade. Agenouillé près de la table au centre de la pièce, je regardais dans le vide. En fait, je ne voyais rien : j'étais perdu dans mes souvenirs. Je revoyais ce PNJ membre de la team Rocket pointer son arme dans notre direction. Je revoyais son sourire sadique lorsque son doigt se posait sur la détente. Je revoyais nos visages terrorisés, nos larmes coulantes, nos pleurs incessants. Je revoyais le doigt du malfrat presser la détente. Lentement. Très lentement. Aussi lentement que la mort fauche les âmes, son doigt continuait son chemin. Lorsqu'il avait  achevé d'appuyer, une détonation nous avait crevé les tympans. Une détonation mortellement bruyante. L'un des nôtres était tombé à la renverse, ses mains pressant son torse désormais ensanglanté. Il s'était effondré sur Miss Malice qui, surprise, était tombée avec lui. Une chute lente mais douloureuse. Nous les regardions, mais nos regards n'étaient figés que sur une seule et unique chose : la tâche rougeâtre sur le tee-shirt blanc du bêta-testeur. Miss Malice était toujours au sol, incapable de se relever. Ses yeux coulaient abondamment, mais personne ne disait rien. Nous avions à peine entendu le sbire de la team Rocket s'échapper par le trou qu'il avait creusé dans le mur par on ne savait quel moyen. Ses bruits de pas avaient à peine résonner dans nos oreilles. Nous étions tous focalisés sur la même chose : ses cheveux blonds et courts reposaient sur le haut de la cuisse de MissMalice. Sa respiration, irrégulière, diminuait en intensité à chaque seconde qui s'écoulait. Ses yeux bleus se fermaient lentement tandis que sa bouche imprimait une grimace de douleur. Ses mains, couvertes de sang, tremblaient légèrement sur son torse. Il essayait d'articuler quelque chose, mais personne ne l'entendait. Pas même MissMalice dont la main reposait sur le front du mourant. Ses yeux avaient fini par se fermer totalement, sa respiration s'était coupée, ses membres avaient cessé de trembler, mais sa grimace avait subsister. Il était parti, et le retour lui était désormais impossible. Adieu, Pika-sama, ne pouvais-je m'empêcher de me répéter dans ma tête. Beaucoup tentaient de retenir leurs larmes, mais aucun n'y était parvenu. Nous pleurions devant cette scène épouvantable, devant cet homme devenu cadavre. Ayaka était dans mes bras, sa tête plongée sur mon torse. Elle serrait le tissu de mon tee-shirt entre ses mains. Je n'étais pas en meilleur état. Mes mains, dans le dos d'Ayaka, tremblaient. Je pleurais sans pouvoir m'arrêter, tout comme l'écoulement de sang qui ne cessait de croître. La tâche se répandait sur la surface du sol en bois et venait tâcher le tapis, composé de spirales colorées, au centre de la pièce, sous la table. DragonChild, Missmalice, Houxnid, Loser et tous ceux dont j'ignorais le pseudonyme étaient dans le même état, autrement dit incapables d'effectuer le moindre mouvement. Le temps s'écoulait à une vitesse phénoménalement lente, rendant plus pénible encore cette atmosphère lugubre.

-Il mérite d'être enterré, dit alors une voix tremblante.

C'était DragonChild. S'il y avait bien une personne qui, d'après moi, était incapable de pleurer, c'était bien lui. Je m'étais lourdement trompé. Il fit quelques pas en direction du cadavre et, lorsqu'il fut auprès de lui, il fit attention de ne pas marcher dans la flaque de sang et voulut prendre le corps dans ses bras. Il en fut toutefois incapable : le corps de Pika-sama commença à se volatiliser. Il se transformait en poussière qui, comme par magie, se dispersait dans l'air, comme un tas de sable dans la main d'un enfant. Nous regardions les restes de notre partenaire se dissiper : ses mains partirent en premier, suivies de ses bras et de ses jambes. Son torse commença alors à disparaître, petit à petit, jusqu'à ce que vînt le tour de son visage. Il ne resta alors plus rien du passage de Pika-sama dans ce jeu maudit, exceptée cette flaque rouge qui n'apparaissait sur aucun des jeux antérieurs. Il ne restait plus rien sur ce sol. Le néant. Exactement comme nos esprits, en ce moment.

Notre petit groupe avait poursuivit son chemin et se dirigeait en direction du sud. Nous avions quitté la maison des deux habitants sans prononcer le moindre mot, et pareillement jusqu'à atteindre la ville de Carmin-Sur-Mer. Nos visages, dont les traces de notre éprouvante mésaventure n'avaient pas encore disparu, étaient baissés. Nos yeux, occupés à regarder le sol en silence, ne voyaient rien des habitations de la ville : de grandes maisons de briques toutes reliées entre elles par des câbles électriques. Nous ne fîmes pas attention au bâtiment en construction présent à notre gauche. Nous ne vîmes rien des Machopeur, Pokémon de type Combat anthropomorphes aux corps musclés, porter de grandes poutres de métal pour les apporter à leurs dresseurs qui en feraient sûrement quelque chose, mais impossible de dire quoi. Nous nous dirigeâmes directement au centre Pokémon afin de soigner nos équipes affaiblies par les combats que nous avions dû effectuer sur la route. DragonChild était à l'avant du groupe et nous guidait je ne savais où, mais je n'avais pas envie de dire quoi que ce fût. Ayaka non plus, puisqu'à aucun moment elle ne parla. Nous continuâmes de marcher jusqu'à ce que nous comprissions que nous nous dirigions vers le quai de Carmin-Sur-Mer, là où était amarré l'Océane, le bateau sur lequel nous devions embarquer afin de récupérer la CS Coupe. Nous longeâmes diverses habitations, dont l'arène de la ville que nous visiterons lorsque nous serons en mesure de couper l'arbuste nous obstruant le chemin. Nous longeâmes la Cave Taupiqueur et tournâmes à droite, direction les quais. À peine marchâmes-nous sur le ponton qu'un PNJ habillé en marin nous interpella.

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