Les lumières de l'ambulance

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Son visage se dessinait entre les lumières de l'ambulance.

Il ne l'avait jamais vu, cette face penchée sur lui, l'Insatisfait. Il ne savait rien, de cette couleur si bleue qui hantait ses yeux, de ses longues mèches brunes soigneusement rangées derrière ses petites oreilles. De ses traits, crispés par la fatigue et l'angoisse. De ses larmes, qui glissaient délicatement sur sa joue, et qui s'écrasaient avec une violence amère contre son front à lui.

Non, il ne savait pas à qui appartenait cette figure si douce, bien qu'il fut laide, qui dansait entre le bleu, le rouge, et l'obscurité.

Il ne savait pas, l'Insatisfait, pourquoi ses yeux, minuscules, dégoulinaient sur lui. Pourquoi il lisait cette douleur sur cette pâleur inconnue. Il ne voulait pas savoir. Il voulait seulement qu'elle cesse de pleurer.

Non, il n'avait pas de peine pour cette jeune fille en proie à une profonde tristesse. Il voulait simplement qu'elle se relève, regarde ailleurs, et dégouline sur quelqu'un d'autre que lui. Il n'avait pas de cœur, l'Insatisfait.

Le ronronnement de l'ambulance, les secousses dans les virages, le cri strident de la sirène, qui chantait comme pour attirer les marins, il ne les supportait pas, l'Insatisfait. Il aurait aimé hurler à son tour, couvrir de sa voix, celle de l'insupportable femme poisson. Il aurait aimé vomir sur les genoux de la jeune fille en pleurs, juste pour qu'elle détourne ses yeux, qu'elle se redresse un peu, qu'elle cesse de l'observer avec ce regard pitoyable. Il aurait aimé se lever, et se jeter en dehors de cette fournaise de sons, de présences, percuter la route, et se laisser rouler contre le bitume, jusqu'à la mort.

Mais il était bien attaché l'Insatisfait, et son corps refusait de l'écouter. Il avait mal, il avait chaud, il était comme un animal que l'on jette dans un troupeau.

Il était en colère, il bouillonnait de rage.

Des larmes un peu trop salées, amères, jaillirent de ses yeux.

Pourquoi pleurait-il ?

Il n'en savait rien. Alors qu'il aurait dû se montrer fort, accepter son sort et casser la figure à tous ces gens qui essayaient de lui rendre, encore une fois, cette maudite vie, il pleurait. Il pleurait !

Décidément, rien n'y faisait, il ne changerai jamais.

La main de la jeune fille essuya doucement sa joue.

Il la foudroya du regard.

Elle lui sourit à travers ses pleurs.

L'Insatisfait ne lui pardonnerai pas.

Jamais.

Pourquoi était-elle là, assise à ses côtés, une main fermement serrée autour de la sienne, l'autre essuyant ses larmes ? Pourquoi était-elle ici, cette idiote aux yeux aussi vides que son cœur ?  Pourquoi était-elle avec lui ?

Il n'avait besoin de personne, l'Insatisfait, et se savoir entre les mains de cette ingénue lui trouait le ventre, lui crevait les yeux, le faisait souffrir avec une telle brutalité qu'il est était effaré, presque effrayé.

Elle ne devait pas le toucher. Elle ne devait pas le regarder. Elle ne devait pas être là. Elle ne devait pas ...

Il se perdait dans ses pensées, il s'embrouillait l'Insatisfait. 

Et cette main chaude et réconfortante qui tenait la sienne, lui faisait tourner la tête. Il avait mal au cœur, mais son corps semblait comme apaisé par cette présence. 

Il ne voulait pas. Il ne pouvait pas laisser de place à cette paix qui le parcourait, qui le rassurait, qui le berçait lentement. 

Il ne devait pas s'endormir. Il devait partir, loin, se lever et plonger vers la mort.

Il ne savait plus ce qu'il devait faire. 

Il voulait détourner les yeux, mais son regard restait accroché aux prunelles humides de l'étrangère. Elles étaient si bleues, elles étaient belles, elles lui plaisaient beaucoup. 

Sa main se crispa dans celle de la jeune fille.

Il ferma les yeux, emportant dans les limbes de son inconscience, le visage blafard d'une inconnue, tâché par les lumières de l'ambulance.


Corps EtrangersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant