Un VV pas comme les autres

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Eli ne s'attendait vraiment pas à ça. Le début du séjour dans le système neural de l'homo sapiens fut pourtant paisible, trop paisible même. Des visions de collines verdoyantes noyées par le soleil et le crissement des insectes que sa compagne ne semblait pas apprécier outre mesure car elle disait souvent encore ces sales cigales ! Des promenades sur des plages de sable dans une fraîcheur insolite pour un H+ du vingt troisième siècle et beaucoup de temps passé à regarder le vieil homme taper sur son clavier pour écrire des histoires ou faire des commentaires souvent sarcastiques sur des forums ou des...comment appelait-il ça déjà ?...un réseau social en ligne.

Eli ne fut guère surpris des horreurs qui s'y trouvaient. Il savait que le cortex dans lequel il s'était glissé était celui de quelqu'un qui ne croyait pas à la colère divine qui allait se déchaîner sur le monde. Mais ce ne fut pas ce qui le choqua le plus. Le bonhomme en question ne proférait pas de blasphèmes mais quelques-uns de ses interlocuteurs sur ce média qu'il appelait Facebook énonçaient de telles âneries qu'il en était tellement honteux pour eux qu' il fut tenté d'intercéder auprès du Créateur pour qu'il leur montre le chemin de la Vérité. Les croyances les plus folles circulaient dans cette communauté virtuelle ; il fut stupéfait du nombre d'homo sapiens qui croyaient aux Nephilim (1). Il se remémora les affirmations du Livre sacré « ... la Bible ne mentionne pas de visites par des extraterrestres. La Parole de Dieu révélée, enseigne que la vie ne peut exister que par un processus de création. Même s'il existait d'autres galaxies composées de planètes très semblables à laTerre, il n'en reste pas moins vrai que la vie qui s'y trouverait ne pourrait venir que du Créateur. Si Dieu avait créé la vie en dehors de la Terre et si des créatures extra-terrestres devaient nous rendre un jour une petite visite, Dieu ne nous aurait certainement pas laissés dans l'ignorance à ce sujet..»

Le troisième jour, il fit une étrange expérience. Lors de ces précédents voyages virtuels dans les réseaux neuronaux des cortex téléchargés, il n'avait jamais ressenti la moindre interaction entre ses propres pensées et les souvenirs du cortex qu'il explorait. Et là, il eut soudain l'impression d'entrer en communication avec l'individu qui avait possédé ce système neural. La première fois que cela se produisit, il était assis, ou plutôt l'individu dans lequel il s'était installé depuis trois jours, était assis dans un genre de fauteuil recouvert de tissu blanc. Eli observait ce que l'individu était en train de regarder en face de lui ― une fenêtre ouverte sur un jardin, un fond sonore fait de chant d'oiseaux, de bruit de moteurs dans le lointain et un léger sifflement dans les oreilles sans doute dû à une tension artérielle légèrement supérieure à la normale ― lorsqu'il eut l'impression que le système neural s'adressait mentalement à lui. « Alors Eli, qu'est-ce que tu penses de ça ? » crut-il discerner. Il en fut terriblement troublé et ne sut quoi répondre. Fallait-il répondre d'ailleurs ?

Tous ces sens étaient aux aguets après cette improbable interpellation. Il s'écoula plusieurs minutes sans qu'aucune voix ne lui parle à nouveau. Il en conclut qu'il avait dû avoir une hallucination auditive. Il n'était pas le seul résident de Blueseed à être affligé de ces troubles résultant de l'interaction passagère des nanomachines qui optimisaient les fonctionnements cérébraux des H+.

La vision qu'il avait de l'activité cérébrale de son hôte changea brusquement. Il se retrouva au volant à bord d'un véhicule sur roue à moteur thermique sur un long ruban d'asphalte que les homo sapiens appelaient autoroute. Son hôte manipulaient parfois des pédales avec ses pieds tout en tenant un volant qui manifestement remplaçait le guidage satellite des capsules de transport de Blueseed.

Lors de ses deux précédents VV, il n'avait pas eu l'occasion de vivre cette expérience inconfortable. Lors de son treck au Népal, il avait ouvert les yeux directement sur le sentier montagneux bordé de massifs de rhododendrons. Tous les souvenirs du sherpa étaient liés à des expéditions vers les sommets de l'Himalaya, les sentiers escarpés, le froid, les douleurs thoraciques dues au manque d'oxygène. Lors de sa croisière sur le Rhin dans le cortex d'un riche allemand du début du vingt et unième siècle, il avait ouvert directement les yeux sur la salle de restaurant panoramique encombrée de mangeurs et de mangeuses aux joues aussi rebondies et luisantes que les saucisses qu'ils ne cessaient d'engloutir en vidant d'énormes récipients de verre remplis d'un liquide ambré dont son hôte, un dénommé Otto, se délectait du matin au soir.

L'ArcheWhere stories live. Discover now