7. Ciara - Carte blanche

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7. Ciara | Carte blanche

Nous passons la demi-heure suivante à parler de la planification de l'émission. Il est tellement excité qu'il doit parfois s'y reprendre dans ses explications. Son enthousiasme non-feinte me fait sourire. Lucas est quelqu'un d'entier. C'est entre autres pour ça que je l'apprécie. Mais c'est surtout un grand professionnel. Il connaît bien la radio, il a de l'expérience et il sait très bien ce que je redoute. Il n'a donc aucun mal à m'apaiser, à répondre à toutes les craintes que je peux avoir et, sans que je ne m'en rendre vraiment compte, il me calme également sur tout le reste.

Il m'explique qu'il s'agira d'un pilote d'émission pour voir si ça plaît à l'audimat mais qu'il n'y a aucune pression pour autant. La direction lui fait confiance et ne lui donne pas de réels objectifs chiffrés pour celui-là, ça viendra sans doute par la suite, si l'émission s'inscrit dans le paysage médiatique.

L'objectif est de discuter le plus naturellement possible, comme si on parlait musique dans un café. On aura juste un peu plus d'oreilles à notre écoute. J'ai beau agir de manière impulsive, ça n'empêche pas le stress de s'infiltrer dans mes veines. C'est le retour des projecteurs, mais allumés cette-fois, en plein sur mon visage. Cette mise en avant m'angoisse. Je n'ai jamais été le genre à rêver de voir mon visage en couverture des magazines. C'est bien pour ça que j'ai tenu à préserver le plus possible mon anonymat dans le milieu. Ecrire pour les autres, rester planquée derrière l'administratif.

Mais c'est foutu ça maintenant. Je ne suis pas stupide. Cette histoire finira bien par se calmer. Sauf que le mal est fait. Mon nom est collé à mon visage. On ne me reconnaîtra pas dans la rue mais maintenant Google recense plusieurs images de moi quand on recherche Ciara Delaunay. J'aimais ça, pourtant, n'être connu que par mon nom par certains artistes, mon prénom pour les plus proches. C'était une bonne époque l'anonymat. Les spéculations ont commencé, on cherche mon nom dans les crédits, pour déterminer ce que j'ai bien pu écrire. Sauf que je suis plus maline que ça. Ce n'est pas mon matricule qui est inscrit sur les disques.

Toujours est-il que toutes les raisons qui m'avaient poussée jusque-là à refuser cette émission ne tiennent plus aujourd'hui.

Il faut une semaine et demie à Lucas pour régler la partie administrative. L'horaire pour le pilote était déjà en discussion avec la direction de la radio, il ne manquait plus que l'invité. Je suis étonnée de la rapidité que peuvent prendre certains projets à se mettre en place mais je ne vais pas m'en plaindre. C'est maintenant, tout de suite, que je veux le faire. Je serais bien capable de me dégonfler, une fois que l'histoire se sera tassée.

Je passe mes nuits à répéter cette émission en boucle, schématisant toutes les probabilités, toutes celles qui pourraient mener à un désastre, surtout. Il y a tellement de raisons que ça tourne mal. La première étant les fans de Sasha. Sa communauté est toujours aussi intraitable. On en est venu à vérifier le courrier et à renforcer la sécurité du label pour mieux surveiller les aller et venues. Deux semaines que ça dure et je me demande quand ça s'arrêtera. Aurais-je un moment de répit ?

Le soir venu, j'arrive en avance à la radio, un peu anxieuse. Lucas m'explique rapidement les derniers réglages avant de remarquer ma nervosité. Il prend cinq minutes pour que je puisse respirer de façon à me calmer, et ça fonctionne. Je sais exactement comment je veux commencer cette émission. Si je dois continuer à me faire insulter, autant qu'il y ait une vraie raison. Je lui passe une clé USB avec les différents morceaux que j'ai sélectionnés dans mes différentes playlists personnelles comme il me l'a demandé.

Dedans se trouve le morceau d'intro, celui qu'il lance avant même le générique. J'ai carte blanche, il me l'a promis. Je fais ce que je veux et ce pouvoir me fait du bien. Les premières notes résonnent et je souris, d'un air satisfait. Je prononce les paroles en silence, bien consciente que l'émission est filmée et qu'elle se retrouvera sur Internet plus tard. Ils veulent de la matière pour me détester ? Je vais leur en donner.

Nos Musiques (sous contrat d'édition) Where stories live. Discover now