2. des fruits et un cours de guitare.

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BENJAMIN ET moi avions convenu de nous retrouver devant le conservatoire pour mon tout premier cours de guitare; comme les temps étaient encore doux, nous allions au parc. J'avais emporté un Tupperware de fruits pour le goûter, en espérant qu'il ne mette pas tout son argent dans un panini Nutella.

J'attendais depuis quelques minutes maintenant : il fallait décidément que j'abandonne cette sale manie d'arriver en avance. Les artistes ne connaissaient pas la ponctualité. Pour passer le temps, je retouchais mon gloss puis regardais mon reflet dans mon petit miroir circulaire.

Le même visage que d'habitude. Pas trop moche mais vraiment banale, des yeux sans éclat de génie, des mèches brunes tirant vers le noir et une tête d'enterrement. Il fallait croire que la joie ne faisait jamais partie de mon visage; pourtant je n'étais pas triste.

Je ne comprenais pas les gens qui était constamment tristes. Pas que je les blâmais, mais pour moi le bonheur venait si simplement que je ne voyais pas comment la vie pouvait perdre toute trace de soleil. Préparer ces fruits m'avait rendue heureuse. Porter mon gilet jaune me rendait heureuse. Et surtout, revoir Benjamin me rendait heureuse.

Pour moi, le bonheur, c'était quelque chose d'assez simple.

Je savais bien que ce n'était pas le cas pour tout le monde, et je ne souhaitais à personne de ne plus jamais ressentir ni envie, ni bonheur.

Soudain, Giselle me passa à côté, avec une autre jupe à fleurs et des longues chaussettes blanches. Elle s'appuya au mur en discutant vivement avec une asiatique aux cheveux attachés en un chignon bas croulant et une fille mate qui allumait une cigarette. Elle s'aperçut que je la fixais et m'adressa un petit sourire que je qualifiais de méprisant.

"Si tu cherches Benjamin, il est à l'intérieur. Encore en train de discuter avec le prof."

Puis elle retourna à ses piailleries. Je la remerciais à peine avant de voir Benjamin émerger du bâtiment, sa guitare sur le dos.

"Désolé pour l'attente. On y va ?"

J'hochais la tête et le suivis jusqu'au parc. Il ne parla presque pas du chemin. Je m'efforçais de briser le silence.

"Giselle m'a dit que le prof te parlait encore.

- Cette fouine.

- J'envisage de lui offrir les napes de ma grand-mère pour qu'elle s'en fasse des robes."

Il laissa échapper un sourire en coin. Après tout, les rares fois où je l'avais vue, elle portait des motifs fleuris carrément vieillots, assortis à une paire de Doc usée.

"Pourquoi tu la détestes ? demandais-je finalement.

- Elle se mêle toujours de ce qui ne la regarde pas. Elles font un excellent duo, avec Cynthia. Une bande de petites commères stupides.

- Pourtant elles étaient trois quand je les ai vues.

- Maia ? C'est une amie d'enfance de Giselle. Elles sont inséparables même si elles sont différentes sur, genre, tout. Les opposés s'attirent, j'ai envie de dire."

Il laissa chuter son sac au sol et sortit sa guitare de son étui comme si c'était un bijou serti de diamants. Je m'agenouillais sur l'herbe, regardant l'or du soir se disperser dans les nuages, l'eau filer dans les virages et les oiseaux répéter leurs derniers chants avant l'envolée.

"J'ai ramené des fruits, annonçais-je en sortant le Tupperware de mon sac.

- C'est gentil mais j'ai déjà pris un truc avant le cours. Bon."

La nuit pleure aussi.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant