Chapitre 2: Départ -Lyna

9K 445 57
                                    


Je ne parle même pas. Parce qu'il n'y a rien à dire. J'y crois pas. Ma mère fond en larme et mon père la prend dans ses bras protecteurs. Je me sens tomber, alors je fais de mon mieux pour atteindre la chaise la plus proche, au bout de la table. Je me contente de rester là, comme si j'attendais qu'on me dise que c'est une blague, que je n'ai pas été tirée. Que je ne suis pas devenue les autres. Mon frère, Jon, arrive et passe ses bras sous mes aisselles, et les glisse jusqu'à mon dos, puis me serre fort contre lui. Il me relève ainsi, et je fonds en larmes sur son épaule. J'enroule mes bras autour de sa nuque et laisse couler les larmes. Il a dix-sept ans, et ne devrait pas être concerné par toute cette merde. Il caresse doucement mon dos d'un geste réconfortant. Ils vont bientôt arriver et m'emmener. J'ignore si je le reverrai un jour. Si je les reverrai tous un jour. Il me lâche et je m'efforce de tenir sur mes jambes tremblantes quand ma mère me prend à son tour. Je vais participer au Sex game.

-Maman... sangloté-je.

Elle s'écarte et prend mon visage entre ses mains, me forçant à la regarder dans les yeux. Je dois être rouges, les joues gonflées et mouillées de larmes, mais qu'est-ce que je m'en tape.

-Tu vas aller là-bas et tous les défoncer, c'est clair ?

Je ne parviens pas ni à répondre ni à hocher la tête. Du revers de ma manche, j'essuie mon visage boursouflé à cause de mes pleurs et les embrasse tous. Il doit me rester au mieux dix minutes. Ce jeu est la priorité de l'état depuis des années, ils ne perdent pas une seconde. Ça commencera sans-doute demain, ou après-demain. Lors des au revoir, entre deux larmes et deux encouragements, on sonne à la porte. Je crois que je préfèrerais encore mourir tout de suite. J'envisage un instant de fuir, de partir je ne sais où, loin d'ici. Mais c'est peine perdue: je suis perdue.
La porte s'ouvre sur deux agents habillés de bleu. Ils sont grands et imposants. A croire que c'est en prison qu'on m'envoie. C'est à s'y méprendre...

-Nous souhaitons voir Lyna Clarke, dit l'un d'eux.

Ma mère reste devant la porte, de sorte à me cacher encore un instant. Elle ne semble pas résignée à me laisser avec eux. Qui ne la comprendrait pas, en ces circonstances ? Je finis par m'avancer, la dépassant lentement.

-C'est moi, dis-je d'une voix faible, encore étouffée par les sanglots.

L'un m'empoigne l'avant-bras fortement et je me retrouve traînée jusque dehors, puis dans un fourgon. La nuit m'empêche de distinguer sa couleur. Je crois entendre ma mère crier de l'intérieur. Je masse l'endroit où m'a serrée l'agent. Il y est pas allé de main morte le salaud... il avait une sacrée poigne, ça on peut le dire.
Je n'ai pas pu prendre ne serait-ce qu'un seul objet personnel. De toute façon, c'est interdit, et on nous fournit déjà tout le nécessaire. Comme ils disent chaque années, ou du moins ce qu'ils disaient quand je regardais étant gosse "en espérant que le séjour vous sera agréable".
L'émission se déroule dans une maison, qu'il ne me tarde pas du tout de découvrir. Pour l'instant, je suis seule à l'arrière du fourgon, sur un banc inconfortable. Vais-je faire le trajet seule ? ou d'autres vont-ils se joindre à moi ?

J'ignore combien de temps est passé depuis le départ, ni combien de fois j'ai craqué et ai versé quelques larmes, mais le véhicule s'arrête et les deux portes de l'arrière s'ouvrent sur un des agents de tout à l'heure. Mon pouls est rapide. Est-ce que ça va commencer tout de suite ? Que va-t-il se passer maintenant ?
Je suis conduite jusqu'à une immense pièce dont les murs sont de métal. Le sol est de carrelage blanc, constitué de grandes dalles carrées. Un groupe de gens de mon âge est là aussi. Ils sont une vingtaine. Je devine aisément qu'ils s'agit de mes "concurrents". Je les rejoins au centre de la salle. Nous nous jetons tous quelques regards curieux. Personne ne parle. Personne ne se connait. Un homme entre à son tour quelques minutes après mon arrivée. On est au milieu de la nuit, et nous commençons un peu tous à être fatigués, de par les émotions de ce soir. Le pas de l'homme résonne dans tout l'espace. Il est serein, calme. Ses cheveux bruns sont coiffés de façon basique. Il semble normal. Il se met devant le groupe puis prend la parole.

-Bonjour à toutes et à tous, dit-il d'une voix rauque et grave. Ou plutôt bonsoir... Comme vous le savez sûrement déjà, vous avez tous été choisis comme étant les heureux participants du cinquante-troisième Sex Game !

Heureux mon cul ouais.

-À 18h demain, commencera donc la cinquante-troisième saison de ce jeu... le temps passe si vite les enfants... vous connaissez les règles. Soyez attachants, et vous aurez une chance de gagner. Soyez détestables, et vous mourrez. Vous seront fournis de quoi vous changer et satisfaire tous vos besoins durant les prochaines semaines. S'il vous manque quoi que ce soit, rendez-vous au confessionnal et on vous apporte tout ce que vous voulez. Dans quelques minutes, une photo de groupe sera prise, afin d'immortaliser le début de votre nouvelle vie. Vous pouvez changer de prénom si le votre ne vous convient pas, mais ce choix est définitif pour toute la durée de votre séjour.

Il parle encore quelques instants, puis nous invite à nous diriger vers une pièce voisine, plus petite, où on nous installe comme pour une photo de classe. Certains sourient. D'autres, comme moi, sont dépités et fatigués. Après ça, on nous conduit jusqu'à la maison. Pour cela, il nous font passer une grande porte de fer, qui s'apparente plutôt à un portail. inhabituellement haut. Un homme chargé de nous guider l'ouvre à l'aide d'une clé et nous invite à entrer. Lors de notre passage, il demande à chacun s'il ou elle souhaite changer de prénom, et si oui, quel est-il. Je ne change pas le mien. D'abord parce que j'affectionne mon prénom, puis parce que je ne saurais que choisir à la place. Quitte à mourir ici, autant qu'on sache qui je suis, sinon, quel intérêt ?

La photo que nous avons prise tous ensemble est déjà accrochée sur un grand mur.  Nous passons devant et je regarde le cliché: ceux qui sourient sont heureux, car ils vont passer à la télé, tout le monde connaitra leur nom. Les autres sont fades, ils savent ce qui les attend. Pour ma part, j'ai le teint blême et mes cheveux me paraissent même gras. Ils sont emmêlés, ça, c'est une certitude. Je contemple une seconde encore tous ces visages qui ne me sont pour l'instant aucunement familiers. Vingt visages dont le mien. Nous sommes vingt, vingt personnes tirées au sort pour jouer au jeu le plus torride et malsain jamais inventé.

Et d'ici quelques semaines, dix-huit d'entre nous seront morts.

Sex game - Plus qu'un jeuWhere stories live. Discover now