Je quitte le vestiaire et passe les portes battantes qui mènent à la salle. Ricki, est en pleine réflexion au-dessus du jukebox.

- Led Zep ou Phil Collins ? 

- Barbara ? je propose sans grande conviction.

- Désolée, il n'y a pas, elle ment.

- Alors, Phil Collins.

La musique démarre et comme par magie, j'ai l'impression que l'ambiance du café change instantanément. Elle devient plus intime. Je m'y sens bien, je suis plus sereine. Ricki revient s'assoir en face de moi. Je lui sers son smoothie préféré, celui à la fraise et Raoul débarque avec sa part de tarte à la main. Il reste discuter avec nous.

Peu à peu les clients commencent à entrer et je délaisse mes amis pour prendre les commandes des nouveaux arrivants.

- Aux fourneaux Raoul. Ils sont affamés.

- Bien chef.

Les étudiants débarquent en masse à partir de dix-heures. J'arrive à peine à tenir une conversation avec Ricki entre deux commandes. J'attrape le plateau de smoothies pour la table quatre et j'entends la cloche de la porte d'entrée sonner en même temps, m'annonçant de nouveaux clients. 

Quand je reviens au bar, Ricki me regarde, méfiante. Presque tous les soirs c'est la même scène. Je lève les yeux et le cherche partout dans la salle. Ricki ne m'adresse ce regard que quand il s'agit de lui. Elle a compris que l'on n'était pas ami mais je n'ai toujours pas réussi à lui expliquer qu'on était ensemble au collège.

Je finis par le trouver. Assis à la table la plus loin du bar, celle dans le coin le long de la vitrine. Je repose mon attention sur Ricki. Elle me dévisage maintenant, guettant ma réaction. Mais je ne fais rien. Elle baisse les yeux vers mon tablier.

- Passe-le moi. Je vais m'en occuper, elle déclare en tendant sa main vers moi.

- Non. C'est mon travail.

- Juste sa table. Et puis l'ours n'est pas là.

- Je peux le faire, j'insiste fermement.

Elle finit par se rassoir tandis que j'agrippe mon calepin des deux mains en respirant un bon coup. Il ne me fait pas peur. Je m'approche de leur table, le plus naturellement possible. Comme d'habitude, je repère qui est installé à côté de qui pour pouvoir les servir plus facilement après. Trois garçons et deux filles l'accompagnent. Lui, est toujours assis à la même place, contre le mur, au bord de la table, près de l'allée. Il a une vue imprenable sur tout le café, y compris le bar. 

Il a passé son bras gauche sur le dossier de la banquette et regarde son téléphone posé sur la table. S'il lève les yeux, alors il me verra m'approcher. Comme à chaque fois, son regard deviendra vide et je perdrais tout mes moyens. Mais pas cette fois.

- Messieurs, dames. Qu'est-ce que je vous sers ?

- Un chocolat viennois. Sans la chantilly, précise la fille à côté de lui.

- Un chocolat chaud, c'est noté, je note la corrigeant sur son erreur au passage.

J'entends son rire chaud, face à la bêtise de son amie. Mais j'essaye de rester concentrée sur ce que je fais. Je poursuis la commande, priant pour que personnes ne remarquent mes mains qui tremblent. Je penche la tête de son côté, attendant qu'il me réponde. Il retire son bras de la banquette et joint ses mains devant lui, en s'approchant un peu plus de moi. J'évite le plus possible de croiser son regard. Il sourit. Sûrement satisfait du malaise dans lequel il me met.

- Pourquoi pas toi chérie ? il m'enfonce un peu plus.

J'hallucine. Il vient vraiment de dire ça ? Je m'attends à ce que quelqu'un réagisse. Ne serait-ce que sa copine. Mais personne ne bronche. Ils sont tout sourire. Ils attendent que ce soit moi qui rétorque quelque chose.

DIS-LE (nouvelle version)Where stories live. Discover now