__ Je ne te parle pas de ça, je m'agace, regarde. J'ai besoin de mon arme si tu veux manger ce soir.

Il aperçoit enfin ce dont je parle. Il prend un air étrange.

__ Tu vas tuer cet oiseau ? s'étonne-t-il.

__ On pourrait aussi bien gaspiller une ou deux conserves au lieu de profiter de ce petit cadeau de la nature, je soumets avec le plus de sarcasme possible.

Les oiseaux sont rares, et l'occasion d'en faire notre repas est encore plus infime. Je ne laisserai pas passer cette chance, tant pis pour ma tranquillité morale. Avec ce genre de raisonnement, tu ne vaux pas mieux que toutes ces personnes qui se sont entre-tuées pour survivre. J'ignore ma petite voix intérieure et réitère ma demande à Ben. Finalement, il me tend mon arme à contrecœur, chargée d'une seule balle. Je n'ai pas le droit à l'erreur, sinon je peux dire adieu à notre repas.

Je pointe tout doucement mon arme sur l'oiseau qui tourne la tête dans tous les sens, sans m'apercevoir. Il est dos à moi. Très bien. Je me situe à une bonne distance de lui, je ne peux pas m'avancer davantage au risque de le faire fuir. Les branches de l'arbre sont assez serrées entre elles, mais le feuillage est dégagé. J'oriente correctement mon canon, ferme un œil sur deux pour assurer la destination de ma balle, attends, et tire. Quand le corps long et frêle de l'oiseau tombe de l'arbre, je m'autorise à respirer à nouveau. Je l'ai eu.

__ Joli tir, commente Ben, sans réel enthousiasme.

Pourquoi me regarde-t-il de cette manière ? Je n'ai tué qu'un animal, moi ! Mais je me retiens de lui faire la remarque. Au lieu de ça, je m'approche de l'endroit où ma prise s'est échouée. L'oiseau repose entre un tas de feuilles. Je le saisis avec délicatesse et l'emballe dans un sac plastique pour qu'il ne sente pas trop. Il faudra vite le cuire.

__ On se remet en route, annonce Ben.

La nuit n'est plus très loin, il faut que nous nous dépêchions.

La demi-heure qui suit, nous progressons rapidement dans la forêt. Cette fois, plus de chants d'oiseaux ni de halos lumineux. Son immensité donne l'impression de n'en plus finir, je suis bien contente de ne jamais m'y être aventurée seule. Sans Ben je n'aurais pas fait un mètre sans me perdre. Bien que mon niveau de méfiance à son égard reste encore élevé, sa présence m'est réconfortante, je dois bien l'admettre. Au moins, je n'ai plus à supporter le poids de ma survie seule. Je ne suis plus seule. Je crois que c'est la première fois que j'ose réellement me l'avouer. Pendant un instant, il me prend l'envie de le crier à voix haute pour entendre résonner l'écho de cette révélation, mais je risque de passer pour une folle. Les muscles crispés de ma mâchoire me rappellent que je n'ai pas cessé de sourire depuis le début du chemin, une ancienne sensation dont j'ai perdu l'habitude et qui me provoque à présent des courbatures tout autour de ma bouche – mais c'est agréable.

Je ne vois pas le temps passer. L'excitation fait peu à peu place à la fatigue, le ciel se délaisse de ses nuances orangées pour une couleur plus sombre. Il doit être pas loin de vingt heures. Mes pas se mêlent à ceux de Ben, tâtonnant en chœur le sol, moulant terres, feuilles et brindilles sous nos chaussures. Bientôt, un hululement de hibou me tire de mes pensées, me ramenant un peu plus à la réalité. Ben semble lui aussi sortir de sa transe.

__ Il faut trouver un abri où dormir cette nuit, déclare-t-il. Il se fait trop tard pour continuer, et nous ne rentrerons pas à temps de toute façon.

__ Je suis d'accord, j'approuve. Où peut-on dormir dans cette forêt ?

Ben me regarde d'un air étrange, comme si j'avais dit quelque chose de totalement stupide. Je le dévisage à mon tour.

Seven [Auto-édité]Where stories live. Discover now