Il ne me faut qu'une dizaine de minutes pour arriver devant le Roosevelt High School. Ce grand bâtiment légèrement dépeint mais qui semble tenir bon malgré les années. Cette bâtisse dans laquelle je me rend depuis trois ans, et qui m'a fait croire durant un court instant que le message gravé sur leur façade disait vrai.

« Soyez-vous-même. »

Je me revois des années en arrière, le regard rivé sur ces mots. Je me souviens m'être demandé si cet endroit allait vraiment m'accepter tel que je suis, si les élèves entre ces murs me traiteraient réellement comme si j'étais normal. La réponse est non. Et chaque jour passé ici, en est un rappel. Je suppose que mon comportement à l'époque était compréhensible, je croyais encore aux belles illusions. Aux illusions qui vous font croire que le plus important dans la vie est de savoir qui l'on est, et qui l'on ne veut pas être. Le truc, c'est qu'il n'y a pas de recettes miracles pour les gens qui ne savent pas qui ils sont, pour les gens qui ne se réfèrent qu'à des prescriptions médicales.

Quotidiennement je lis et relis ce message, et me demande qui est le con qui a écrit ça. Ouais parce qu'il devait être sacrément con ce mec. Il devait surtout croire que nous vivions dans le monde des Bisounours, là où la différence est quelque chose que l'on accepte et que l'on ne blâme pas. Quel mensonge... Personne ne peut être vraiment lui-même ici. C'est difficile, dangereux et bien plus rassurant de se protéger derrière un masque que l'on attache grâce à des ficelles pour la journée. « Soyez comme vous devriez être » correspondrait sans doute mieux à la mentalité de cet établissement.

Je traverse la longue pelouse déjà bondée de monde et rejoins l'escalier menant au hall d'entrée. Je range mes écouteurs dans mon sac et me dirige vers mon casier en tentant d'ignorer les regards insistants en ma direction. Ça aussi j'y suis habitué à force. Cette attention particulière que j'attise, et ces commérages qu'on lance à tout bout de champ dans mon dos. Mes questionnements ne disparaissent pas pour autant, comment ma vie a t-elle pu changer de cette manière ? Comment du jour au lendemain, j'ai pu passer de ce héros en primaire, à la risée de tous au lycée ?

Mon casier est simple et sans artifice, en fait c'est le seul qui semble n'appartenir à personne. Mme Murphy, notre directrice, avait insisté pour que nous les décorions avec n'importe quoi du moment que ça nous ressemblait. Elle avait dit que c'était le genre de chose qui pouvait nous donner le sourire de bon matin, le genre de chose qui pouvait rendre cet endroit moins naze. Je ne l'ai jamais fait. Certains de mes voisins ont collé des photos de leur famille et amis, d'autres se sont amusés à faire des montages originaux et inscrire des paroles de chansons bourrées de gros mots, tandis que d'autres encore ont voué leur casier à une passion. C'est le cas des footballeurs qui ont tagué le numéro qu'ils portent en gros et accrochés des dizaines de selfies d'eux pris en fin de match. Comme s'ils voulaient ne pas perdre de vue leur objectif, leur rêve. Moi je n'ai rien de tout ça et c'est peut-être ce qui fait de moi ce que je suis après tout. Immaculé de l'extérieur, rempli d'encre à l'intérieur.

« Sans cœur, pauvre type, sans amis... » Ils y sont tous, et prennent de plus en plus de place à mesure que les jours passent. Depuis des mois, des lycéens s'amusent à laisser un petit mot dans mon espace privé. Seulement des insultes, à vrai dire je ne suis pas du genre à recevoir des compliments. Les gentilles choses sont sans doute réservées aux personnes capables de les recevoir, en souriant par exemple. Ce qui n'est évidemment pas mon cas..

Personne ne sait pour ma maladie, il n'y a que mon prof de sport et la directrice qui ont pris connaissance de mon indisposition physique. Je n'avais pas trop le choix, mon médecin a tenu à ce que je sois dispensé de toutes pratique sportives, a cause de ma fragilité.

Insensible (terminée)Where stories live. Discover now