Je suis heureux

11 0 0
                                    

Voilà. Je suis heureux. Je souffre terriblement. Mais je m'étend dans une léthargie bénéfique et mélancolique qui me tire sans cesse un sourire doux. Les gens de mon village disent que j'ai les yeux tristes. Ils sont d'un brun verdâtre, vaseux, oui, mais triste ? Je crois que je ne les regardes pas assez souvent. En même temps, je ne me regarde pas. Un reflet dans une flaque boueuse, une pièce métallique qui déforme mon visage entre les tâches de rouille. C'est tout ce que je connais de mes traits.
Mes cheveux sont très courts, mal coupé à ce que j'en devine sous mes doigts calleux. Je sais aussi qu'ils sont bruns. Avec des reflets vénitiens peut-être ? Des mèches foncées ? Des cils charbonneux ? Je le saurai si ma famille avait de quoi s'acheter un miroir. Je chasse cette pensée. Un miroir, c'est un désir superflu, une idée de riche. Je n'en ai pas besoin. Je sais que je suis beau aux yeux de ma mère, à ceux de ma sœur. À ceux de la fille des Pierrots, l'aînée. Des deux sœurs Dyne aussi. Voir même des filles Du Crissis... Enfin bref. Ça me suffit.
Je tourne la tête. Sur les bras articulés de la machine, la peinture est jaune. L'oxydation ronge les bords du métal. Je gratte un peu. Rien ne se décolle. Je n'ai pas assez d'ongle. À force de se casser dans le travail de la mine, j'ai l'impression qu'ils ne repoussent plus. Ça m'évite au moins de les ronger.
Ma pause se termine dans quelques secondes. Et oui, ici nous comptons encore le temps avec le système terriens. De toute façon, nous n'avons pas besoin des horloges mutheriennes. Aucun visiteurs d'aucune autre planète ne vient jamais. Quel intérêt ? Il n'y a rien d'autre ici qu'une terre craquelée, sillonnée de galeries souterraines puantes et délabrées, portant l'âme de ses mineurs et de ses foreurs.
Peut-être que l'univers extérieur n'y voit aucun intérêt, mais moi j'aime ma terre. C'est celle qui m'a vu naître, grandir, et qui me verra mourir. Je la connais par cœur : je sais comment parcourir plus de 30 km en échappant à tous les écrans-surveillants. Je sais parfaitement le plan de chaque galeries, et même celles qui ne sont pas répertoriées. Je connais les habitudes des habitants, mais aussi celles des Pères, ceux qu'on appelle les « Grand-Bras » à cause de leurs gourdins greffés au dessus de leurs mains, et je peux ainsi facilement les éviter.
Ma mère dit que c'est grâce à mes aptitudes excellentes, que je suis très intelligent, que j'ai une bonne mémoire. Mais je préfère croire que c'est ma terre, la terre d'Ergano 12, qui me porte dans son cœur et qui m'enseigne son savoir.

Has llegado al final de las partes publicadas.

⏰ Última actualización: May 30, 2019 ⏰

¡Añade esta historia a tu biblioteca para recibir notificaciones sobre nuevas partes!

Ergano 12Donde viven las historias. Descúbrelo ahora