~Introduction : La sylve obscure~

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   Je n'ai jamais compris pourquoi Héloïse s'évertuait à mettre la radio, sachant pertinemment qu'elle ne ferait que grésiller ou passer les dernières informations du pays.

Mais je ne suis pas dans ma voiture, je ne conduis pas, donc je ne peux pas me permettre de lui faire une nouvelle fois la remarque.

-Rassure moi, tu ne leur as toujours rien dit ? Me lance-t-elle en serrant un peu plus le volant et en évitant mon regard.

C'était pourtant la première règle, sûrement la plus importante. Personne ne devais jamais savoir.

En guise de réponse, je lui offre donc un grognement négatif. Le silence, entrecoupé des crépitements sursautant du poste, refait son entrée en scène. La voiture roule pleins phares, les rayons de la lune peinent à traverser les branches des arbres. A chaque soubresaut du véhicule, ma nervosité ne fait qu'augmenter.

Pourtant j'ai fait de mon mieux au concours, et mes efforts devraient être fructueux. 

Pour l'occasion de la remise des diplômes, j'ai fait l'effort d'enfiler une robe, sous les conseils avisés de mon amie. Dans les ténèbres de la nuit, sa couleur sombre se fond avec mon siège. J'ai presque l'impression de disparaître dans cette masse d'obscurité, tant je suis peinte de couleurs lugubres. Cette dissolution de mon corps est d'avantage marqué par le contraste qu'émet Héloïse.

Sous les brasillements de l'astre de la nuit, elle est d'une perfection divine.  

Sa robe de dentelle blanche lui fait une silhouette bien distincte, en contradiction avec sa bouche rouge sang. Elle aussi angoisse d'avoir les résultats, peut-être même plus que moi.

La route de béton devient rocailleuse et les secousses se font plus fréquentes, nouant mon estomac de plus belle. Les bois revêtent un air sinistre, à la limite du macabre. Sous les lumières de la voiture, quelques yeux vitreux s'illuminent entre les troncs; les craquement inquiétants des bêtes, le crissement des pneus, le frémissement des branches, tout nous indique que nous approchons enfin.

Mes hypothèses se confirment dès lors qu'un petit parking, à peine éclairé, s'offre à nous. Les véhicules sont enchevêtrés dans un drôle de pèle-mêle, trouver une place risque d'être plus compliqué que prévu. Pourtant Héloïse manœuvre, contrôle son engin comme une experte, et finit par se garer avec une facilité déconcertante. Les autres sont eux aussi apprêtés pour la situation, ils ont quasiment tous l'air serein contrairement à nous deux. Mon amie me lance d'ailleurs un regard insistant, détachée et tournée vers moi, elle m'attrape le poignet.

-Prête ?

-De toute façon, on n'a plus vraiment le choix...

Je lui grimace une sorte de sourire qui ne la convainc qu'à moitié puisqu'elle pousse un long soupir tout en roulant des yeux. Je pose ma main sur la sienne, la frictionne un instant, avant de finalement sortir de l'auto. Nerveusement, je lisse les plis de ma tunique, sans prendre la peine de réajuster mes cheveux. Cette sensation de d'appréhension ne me quittera donc jamais ?

Monté sur talons, je désespère de pouvoir marcher droit un jour, et titube en suivant le mouvement des autres. Ces derniers s'entassent auprès d'une scène de fortune, à deux pas du parc devenu un Tetris de carrosseries. Je perds ma copine angélique de vue pour me retrouver seule parmi une bonne quarantaine de personnes. Nous avons beau être en comité restreint, le brouhaha est assourdissant, la diversité des couleurs me donne la migraine; je fais presque tâche avec mon noir profond, heureusement je ne suis pas l'unique créature à avoir opté pour du sombre.

Des craquement sur l'estrade font taire les derniers bavardages, un silence de mort vient régner dans les lieux, même les oiseaux semblent cesser leurs éternels gazouillis. La directrice se tient maintenant droite comme un piquet sur la plate-forme. Je ne lui ai jamais vraiment adressé la parole, c'est presque une légende vivante chez les chasseurs. Elle tient dans ces mains des enveloppes, précieux papiers fixés par l'assemblée toute entière. La femme jette un coup d'œil au ciel lunaire, ses yeux d'acier semblent si fragiles et vulnérables qu'elle en devient attendissante.

Hunter or Hunted~Tome 1 : La Valse des OmbresWhere stories live. Discover now