Chapitre 10

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Une fois Ambre endormie dans ses bras, Lucie retrouve le reste du groupe.

-« Elle a bu un somnifère. » Leur explique-t-elle.

Elle reprend ensuite la tête de la colonne et les emmène. Au bout de cinq minutes, Autevielle, qui est juste derrière elle, l'interpelle.

-« Ambre doit dormir profondément maintenant, tu devrais peut-être nous la confier ? Il est inutile et risqué que tu t'épuises à la porter seule.

-C'est gentil mais là ça va. On verra après avoir enjambé le trou. »

La descente vers la crevasse est glissante et l'ancien capitaine est bien content d'avoir les mains libres pour maintenir son équilibre. Arrivée à la crevasse, la cartographe stoppe tout le monde. Elle pose ensuite la claustrophobe assoupie et allume la torche.

-« Voilà, le trou dont je vous ai parlé tout à l'heure.

-Effectivement, tu as bien fait d'emmener une torche. Réplique Elessar

-Surtout que le chemin continu de l'autre côté mais avec une pente plus importante et un sol beaucoup plus glissant. Tout à l'heure, emportée par l'élan de mon saut, je l'ai dévalée sur les fesses avec une peur bleue de me retrouver au fond d'un ravin à tout moment. Je n'ai pu m'arrêter qu'en freinant des pieds et du dos contre les parois.

-C'est bien ce que je pensais, l'interrompt Isaac, partir seule dans l'exploration de ce souterrain n'était pas une bonne idée.

-Une fois que j'ai découvert ce trou, j'en ai déterminé la largeur en jetant des cailloux et j'ai pu sauter suffisamment loin parce qu'on m'a entrainé à le faire sans l'aide de la vue. Comment j'aurais pu te guider ? » Lui demande –t-elle.

L'homme bougonne et récupère Ambre puis enjambe le trou comme si cela n'avait été qu'une petite flaque d'eau. Tout le monde le rejoint avec un petit sourire attendri aux lèvres. Lucie récupère son amie et lui donne le flambeau.

-« Tu ne vas pas la porter tout le temps ? Se plaint-il.

-Là nous allons glisser en étant assis sur nos sacs. Donc elle sera sur mes genoux.

-Oui, mais il y a plus de place sur le mien.

-Peut-être mais tu as fait de la luge quand la dernière fois ? Moi c'était l'hiver dernier, avec ma petite sœur sur mes genoux, justement.

-Bon les enfants vous avez fini ! S'exclame Autevielle prêt à éclater de rire. Isaac, tu pars en premier ! Je ne tiens pas à ce que tu estropie l'un de nous en bas, avec tes cent vingt kilos. Dherblay, tu le suis à cinq secondes ensuite c'est vous Elessar puis moi et enfin les deux demoiselles. »

La descente est très agréable et plus courte que dans le souvenir de Lucie. Par contre les deux cent-cinquante derniers mètres qu'elle parcourt plier en deux, tout en portant son amie, sont très pénible et douloureux pour ses lombaires, les hommes eux doivent marcher à quatre pattes. Elle profite du tour de reconnaissance à l'extérieur de ceux-ci pour faire ses étirements. Ainsi Ambre ne l'apprendra jamais, donc ne pourra pas culpabiliser, tout comme les membres de l'escorte qui ne se moqueront pas de son entêtement.
Une fois remise, elle s'occupe de l'apothicaire.

-« Réveilles-toi Ambre! Nous sommes arrivées. »

Il lui faut plusieurs tentatives pour que la belle s'éveille.

-« Coucou.

-Coucou.

-Je n'ai pas été trop lourde?

-Absolument pas et tu as raté une super glissade sur sac à dos. La rassure-t-elle avant de lui raconter comment s'est déroulé le voyage souterrain.

-Je suis vraiment épatée par ton aisance dans les espaces confinés.

-Tu sais pour moi, étant nyctalope, ce n'en est pas un. C'est juste un couloir en pierre, glissant. »

La demoiselle lui parle alors de la manière dont elle a découvert cette caractéristique et comment elle l'a utilisé pour visiter la cuisine de l'internat des cartographes lors de ses fringales nocturnes.

-« Tu as compris que tu étais une enfant de la prophétie d'Albert Hofmann à quel moment ?

-Quoi ! Mais de quoi tu parles ? Je ne le suis ! Cette prophétie est juste une superbe histoire d'amour ! Tu l'as dit toi-même qu'il est impossible d'avoir d'enfant si on n'appartient pas à la même espèce ! »

Voyant son amie paniquée, l'herboriste la prend dans ses bras.

-« Je suis désolée d'avoir mis les pieds dans le plat! Je pensais que tu avais réalisé depuis longtemps que tu étais une hybride homme/nain et que tu l'acceptais.

-Ambre ! Ce n'est pas possible que tu es raison ! Je ne veux pas être chassé des cartographes et de Vulcania ! »

L'apothicaire la câline le temps qu'elle se calme puis reprend.

-« Lucie, si jamais cela arrivait, je partirais avec toi. »

Submergée par une vague d'amour qu'elle est incapable de contenir, la demoiselle se retourne et embrasse son amie avec force et passion. D'abord surprise, l'herboriste y répond très vite avec la même intensité.
C'est le manque d'oxygène qui leur fait arrêter.
Inquiète d'être victime d'une manipulation de la part de la demoiselle pour ne pas être seule ou dénoncée, Ambre l'interroge.

-« Pourquoi tu m'as embrassé? »

Lucie, aux antipodes de ces considérations, lui répond honnêtement.

-« Parce que je t'aime depuis que je t'ai vu dans l'officine de ton père, que je viens seulement de le comprendre et que je ne pouvais pas attendre pour te l'exprimer. Seulement, si tu me pose la question, c'est que ce n'est pas réciproque. Je te demanderais donc d'excuser et d'oublier mon geste impulsif. J'espère juste que tu accepteras encore mon amitié. » termine-t-elle en s'éloignant d'elle de peur de ne pas pouvoir retenir plus longtemps le sanglot qui ne demande qu'à sortir tant elle est dévastée devant l'évidente non-réciprocité de ses sentiments.

Ambre est si touchée par la tristesse de son amie qu'elle décide de passé outre ses craintes et simplement écouter son cœur. Elle se relève donc et vient enlacer la demoiselle.

-« Moi aussi je t'aime.

-Pourquoi m'as-tu posé cette question alors? Lui demande-t-elle en s'essuyant les yeux. Tu as eu peur que ce soit une manœuvre pour que tu ne me dénonce pas, c'est ça ?

-Oui! Répond-elle honteuse.

-Cela veut dire que j'ai été trop impulsive. Prenons alors le temps de mieux nous connaitre avant de nous mettre ensemble.

-Pas question! S'exclame Ambre. Nous avons fait le plus dur en nous déclarant! Je refuse de faire marche arrière. En plus, dit-elle avec un sourire en coin et les yeux pétillant de malice, il est hors de question, maintenant que j'y ai goûté, que je me passe de tes lèvres.

-Coquine. »

Et elles s'embrassent à nouveau mais plus tendrement, ne craignant plus d'être rejeté.
En attendant le retour de leur compagnon, elles s'installent confortablement dans les bras l'une de l'autre.

-« Tu sais ta moitié Nain n'est pas visible. En plus comme c'est biologiquement impossible, tu n'as qu'à éviter de parler si librement de tes caractéristiques typique du petit peuple, ta taille, ta force te permettant de soulever ta petite sœur et de ta capacité à voir dans le noir, pour que personne d'autre ne devine. Si tu ne l'avais pas fait et si tu ne m'avais pas dit que, pour toi, ta mère a obéi à la prophétie je n'aurai rien découvert.

-Donc je ferais comme d'habitude et ne dirait que le minimum sur moi. »

Comprenant que pendant ces quatre jours, elle a bénéficié de confidence que nulle autre personne n'avait eu, l'apothicaire l'en remercie d'un baisé.
Cette fois ci ce n'est pas le manque d'oxygène qui les fait cesser mais le retour des quatre hommes. Devant l'évident rapprochement de leurs protégées, leurs visages, très graves à leur entrée, s'adoucissent quelque peu.

-« Nous sommes ravies que vous ayez enfin accepté vos sentiments et nous espérons pouvoir assister à votre mariage. (Les deux femmes rougissent jusqu'aux oreilles) mais l'heure est grave et vous devez mettre votre tout nouveau rapprochement de côté tant que nous ne sommes pas sorties d'ici. Explique Autevielle. Nous savons pourquoi le hameau est si bien caché. Sa population est constituée d'Homme mais aussi de Nain et d'Elfe. Nous allons donc le traverser le plus rapidement possible. Lucie, nous allons nous faire passer pour des chasseurs qui ont fuis des Trolls grâce à ce souterrain. Il ne faut pas qu'ils sachent que tu es une cartographe pouvant révéler leur présence au reste de Kana, donc dissimule au mieux ton écritoire et ton bâton de marche.
Mesdemoiselles, je vous demanderais de rester bien au milieu de nous et de nous laisser parler. Les nains sont colériques, ils s'emportent facilement s'ils ont l'impression qu'on se moque de leur taille ou d'autre chose les concernant et leurs forces surhumaines en font des adversaires quasi imbattables pour nous. Les elfes eux sont plus pacifiques mais leur obsession de la préservation de la nature engendre des colères noires si par mégarde vous écrasez un insecte et leur immense dextérité à l'arc les rend excessivement mortelle pour nous. »

Les deux femmes hochent de la tête et se préparent en silence.

-« Je ne comprends pas comment une telle communauté peut tenir, ressasse Isaac. Même à Délice d'Orient et Délice d'occident les quartiers sont hermétiquement séparés pour éviter les affrontements.

-L'important à l'heure actuel, c'est de fuir au plus vite ce lieu contre-nature. On s'interrogera une fois que nous serons à bonne distance. » Lui rétorque son ancien capitaine.

L'angoisse des hommes est si grande qu'elle éclipse le bonheur des demoiselles, elle chemine donc au milieu d'eux, main dans la main en se souriant régulièrement pour se soutenir. C'est ainsi que pendant toute la traversée du champ moissonné, pas une parole n'est échangée. A vingt mètres du potager, ils sont repérés par les habitants. Diplomatiquement ce sont trois hommes et trois femmes qui viennent alors à leur rencontre, au grand soulagement de l'escorte et du guide.
Les demoiselles ne les remarquent que lorsqu'ils sont devant le groupe et qu'Autevielle se met à leur servir l'histoire qu'il a inventé pour eux.
En découvrant leurs hôtes, elles les regardent d'abord sans vraiment leur prêter attention puis chacune a l'étrange impression de connaitre une des femmes. Il leur faut encore quelques secondes pour comprendre qu'elles sont devant celle qui les a abandonnées sept ans plus tôt.

-« Maman! » S'écrient-elle alors en même temps, en s'élançant vers elle puis en les prenant dans leur bras.
S'en suit des retrouvailles où se mêle joies et larmes, chacune demandant des nouvelles de l'autre.

Devant tant de bonheur, les autres s'éloignent pour leur laisser un peu d'intimité. Mais après cinq minutes, voyant qu'elles n'ont pas fini, le doyen des habitants vient proposer aux hommes un petit déjeuner dans la salle servant pour les réunions des villageois.
Les filles, entendant cela, les exhortent à accepter pour pouvoir encore profiter de leur mère sans culpabiliser de les faire attendre. Devant leurs mines réjouies et leurs regards suppliants, les quatre quadragénaires ne peuvent faire autrement que d'accepter. Ils ont alors droit à un repas pantagruélique.
De leurs côtés, Ambre et Lucie sont emmenées par leurs génitrices respectives chez elle. Arrivées au hameau, celle-ci prennent des directions opposées. La cartographe, inquiète que son amoureuse n'est pas réalisé ce qu'elle est, veut lui annoncer pour pouvoir la soutenir. Elle demande donc deux minutes pour lui parler. Seulement, alors qu'elle cherche comment l'annoncer en douceur, l'apothicaire la devance.

-« Je sais Lucie, si ma mère vie ici comme la tienne, c'est que moi aussi, je suis une hybride. Et n'ayant pas, comme toi, les capacités du petit peuple, je pense que maman est avec un Elfe.

-Et tu le prends comment ?

-Tu m'aimes toujours?

-Évidemment !

-Alors cela me fait ni chaud ni froid d'être à moitié Elfe puisque je l'ai toujours été jusque-là et que les sentiments à mon égard de la personne qui compte le plus pour moi n'en sont pas affectés. »

Un baisé passionné conclut ses propos.
Leurs mères les laissent finir puis viennent les rechercher.

-« Vos compagnons ne semblent pas particulièrement à l'aise ici. Il serait préférable pour eux que vous ne vous attardiez pas. Explique Sophia, l'ancienne cartographe.

-Il semblerait que ce ne soit pas les seuls qui aient du mal à cohabiter. Intervient Lucie avec un sourire en coin. Je suis sûre que les maisons abritant les elfes sont d'un côté du village alors que celle des nains sont de l'autre.

-C'est tout à fait cela. Répond Jade. Mais si pour les premiers habitants, c'était effectivement à cause d'animosité interracial maintenant c'est pour des raisons d'adaptation de l'habitat. Les maisons accueillant les Elfe sont à étage, construite autour d'un chêne, avec de grandes fenêtres et à la décoration dépouillée.

- Et les maisons des nains sont de plain-pied, bas de plafond, aux murs très épais et aux ouvertures étroites mais aux décors chaleureux fait de pierres et de métaux précieux.

-Je suppose que pour les couples Nain/Elfe c'est un compromis entre les deux. Demande Ambre en montrant les deux maisons au milieu du village.

- C'est ça ma chérie! Si nous y allions Salogel doit nous attendre.

-De même que Ilmig. »

Les demoiselles, lorsqu'elles rencontrent leurs géniteurs, mettent immédiatement les choses au clair mais avec tact : Elles ne les considéreront jamais comme leur père mais comme le compagnon de leur mère.

Evidemment cela attriste les couples qui espéraient, maintenant qu'elles connaissaient la vérité, retrouver la famille qu'ils avaient dû quitter, mais ils les comprennent et acceptent leur décision.

Les demoiselles, pour diminuer leur peine et parce qu'elles en ont envie, leur promettent cependant de revenir régulièrement les voir.

Une fois cela réglé, Ilmig qui était un excellent forgeron dans son ancienne vie, retravaille sa plus belle et plus performante épée afin qu'elle soit parfaitement adaptée à Lucie, il n'avait pu la laisser derrière lui quand il avait rejoint Sophia. Entre deux coup de marteau, il lui explique pourquoi il y a une recrudescence des incursions de famille de troll dans la forêt d'Abondance.

De ce côté, Salogel qui était un guérisseur, confie son carnet de remède à Ambre, le connaissant par cœur, et l'arc fabriqué par son père, facteur elfique de renom, qu'il n'a jamais su utilisé.

Après une heure de conversation, les deux amoureuses retrouvent l'escorte et le guide qui les attendent, impatient de quitter ce lieu qui les met mal à l'aise.

Les aurevoirs sont difficiles pour elles mais comme elles se soutiennent et qu'elles sont certaines de revenir, aucune larme n'est versée.


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