Chapitre 6

193 9 1
                                    

La chaleur et le bon repas ont ralenti légèrement la marche. Chacun reste dans son quant à soi. Tout ce silence est bien trop pensant pour Lucie, mais elle n'ose pas déranger ses compagnons. Elle regrette d'avoir déjà préparé son rapport. Après cinq très longues minutes à tenter de s'occuper, elle décide de regarder ce qu'elle a déjà écrit. Elle remarque ainsi qu'elle ne sait pas qu'elle est le but de cette expédition.
L'apothicaire qui chemine à côté d'elle, semble avoir lu dans ses pensées ou au-dessu de son épaule puisqu'elle aborde justement le sujet :

- « La fleur que nous allons chercher à la fontaine chaude s'appelle Loukiana. C'est une très jolie fleur bleue qui sert dans le traitement de certaine maladie du cœur. Mais je sais bien que papa a surtout organisé tout ça pour que je sois reconnue comme une vraie apothicaire. »


Sa voix douce et leur proximité poussent la cartographe à, elle aussi, murmurer. Inconsciemment, elles s'enferment ainsi dans une bulle où seules elles existent.
Elles échangent d'abord des banalités.

-« C'est vraiment bien parce que cela a dû lui coûter une fortune.

- Je sais que j'ai de la chance d'avoir un père comme lui. »

Et enfin elles osent se dévoiler.

- « D'aussi loin que je me souvienne, quand je n'étais pas à l'école ou au lit à dormir, j'observais mon père dans son officine en train de fabriquer ses onguents, ses décoctions ou ses emplâtres. Très vite, c'est moi qui l'ai remplacée pour les préparations, étant plus habile avec mes petites mains, comme me dis toujours papa, bien sûr toujours, sous sa surveillance. Je pense que c'est grâce à cela que j'ai pu être diplômé deux ans plutôt.

-Cela n'a pas suscité de jalousie chez tes camarades ?

-Tu sais, je suis solitaire donc les relations entre élèves, ce n'est pas vraiment ma tasse de thé. »

Après un instant de silence, c'est au tour de Lucie de faire des confidences :

- « J'ai toujours aimé lire et écrire. Alors, quand mon père, le lendemain du départ de ma mère, m'a annoncé que le concours d'entrée à l'académie des Cartographes se déroulait au solstice d'hiver de l'année suivante et que j'allais pouvoir y participer. Je me suis lancée à corps perdu dans sa
préparation, oubliant ainsi un peu du désespoir du au départ de ma mère. Je pense avec le recul que c'était le but de papa qui était lui-même incapable de faire face à sa tristesse.

- Quand je travaillais au laboratoire de papa, cela m'empêchait aussi de penser à l'absence de maman. »

Sans s'en apercevoir les demoiselles cheminent main dans la main, morose et perdues dans leurs souvenirs de cette vie d'enfant sans leurs mères. Leur vague à l'âme est comme une chape de plomb sur le groupe.
Au bout d'un quart d'heure ainsi et de nombreux échanges visuels entre les quatre hommes, Elessar prend la parole :

-« Lucie, tu pourrais nous décrire les études pour être cartographe ? Nous n'avons jamais osé le demander à ceux que nous avons accompagnés, avant. »

Après un regard entre elles et s'être lâchées, elles se sourirent. Elles ont bien compris qu'il s'agit d'une tentative de leur faire penser à autre chose.

-« D'accord, mais vous me raconter après pourquoi et comment vous êtes devenus escortes et guide. »

Ils acceptent de bonne grâce.

-« Tous les six années, commence le jeune fille. L'académie reçoit et forme de nouveau élèves. Notre métier allie des connaissances livresques et théoriques à des capacités physiques et pratiques, les études aussi. Ainsi, nous avons appris l'escrime avec une épée courte et toutes les cartes existantes dans la bibliothèque, nous avons étudié le droit et les traités en vigueur sur tout Kana ainsi que la navigation à l'aide d'une boussole ou simplement grâce aux astres.
Nous nous sommes entraînés à la rédaction de rapport et des histoires en découlant mais aussi à la survie dans la nature en partant tous les ans au moment de l'équinoxe de printemps pour un mois. Nous apprenions alors à repérer ce qui est comestible ou pas, l'eau potable ou non, comment faire un campement ou marcher pendant des jours un sac sur le dos. Nous mettions, aussi, en pratique les cours de cuisine ou d'orientation. Il faut rajouter les soins d'urgences et le dessin pour terminer la liste des matières enseignées. Ainsi chaque jour du lever au coucher du soleil, pendant six ans, j'ai étudié, ne pensant à rien d'autre.

- Cela fait du bien d'être si fatigué que le soir on s'endort sans penser ni rêver. Commente Ambre

- Oh oui ! »

De nouveau, elles se sont pris la main pour se soutenir et marche pendant un temps sans rien dire.

- « Vous passiez un mois en dehors de la cité! Mais c'était très dangereux avec les trolls. Ils ne vous ont jamais attaqués ? » S'écrit d'un coup Ambre.

Lucie les arrête, se tourne vers elle, pose sa main droite sur son épaule pour la rassurer et s'explique !

- « Si nous partions à cette date, c'est pour être sur le terrain en même temps que les recrus de la Force de Sécurité Anti- Troll. Les F.S.A.T ont toujours assuré notre protection. Depuis que les académies existent, il n'y a jamais eu d'attaque.

- Oh, je me souviens bien de ces entraînements, nos sergents instructeurs nous menaçaient pire que pendre si un seul Troll montrait son nez à moins d'une lieue du camp des cartographes. Précise Autevielle

-Tu vois Ambre, nous ne craignions rien. Bon, messieurs, j'ai répondu à votre question, je pense que c'est à votre tour. »

Un certain malaise est palpable chez les concernés.
C'est alors le guide qui se lance en premier.

- « Mon histoire est simple. Mon père était guide et je l'ai suivi dès l'âge de 6 ou 7 ans. Ensuite, je l'ai aidé jusqu'au moment où j'ai pris mon autonomie.

-Tu as une famille ?

- Oui, une femme et deux filles, ma dernière à dix-huit ans comme vous deux.

-Elle fait quoi comme métier ? Demande Ambre

- Elle est repriseuse et aide aussi sa mère à la maison.

- Et ton ainé ?

-Elle est marié à un cordonnier et l'aide à la boutique tout en s'occupant de sa fille !

-Cela ne doit pas être de tout repos ! Commentela cartographe. En tout cas merci Elessar. A vous messieurs.

-« Avant de te raconter, commence Isaac, il faut que tu saches,Lucie, qu'il y a trente ans le climat sur Kana c'est considérablement refroidi.Partout sur notre île, la famine s'installait. Les Trolls ont donc étendu leurterritoire de chasse, ce qui poussa les Hommes a augmenté les effectifs de laforce de sécurité pour se protéger. La deuxième conséquence, futl'appauvrissement des agriculteurs qui alors n'eurent plus les moyens denourrir tous leurs enfants.
C'est ce qui m'est arrivé. J'ai dû m'engager à l'âge de onze ans pour quemes parents puissent continuer à nourrir mon frère et ma sœur.
Et depuis, je ne l'ai jamais regretté. Cela m'a permis de connaître ces deuxfripouilles.
Il y a dix ans, lorsque nous avons été mis en retraite, il m'est très viteapparu que ma pension ne serait pas suffisante pour élever mes enfants. Etces amis fidèles n'ont pas hésité à devenir, pour moi et avec moi, escortede missions, comme celle-ci.

-Ce qu'il ne dit pas, continu Autevielle, c'est que si nous l'avons suivi,c'est parce qu'il nous a au moins sauvé une dizaine de fois la vie depuis quenous le connaissions.
Je suis orphelin depuis l'âge de cinq ans.
Pour m'échapper de l'avenir radieux de balayeur qu'il mettait promis, je mesuis engagé dans l'armée à onze ans. Ce que je n'avais pas prévu, c'est qu'avecla nourriture de l'orphelinat, j'étais rachitique. Je serais sûrement mortlors de la première marche de vingt kilomètres, sac sur le dos si Isaac nel'avait pas porté à ma place.

- je te l'ai toujours répété, se plaint presque l'intéressé ce n'étaitvraiment rien, même pas le poids d'une des bottes de paille que je charriaisavec mon père aux moissons de l'année précédente.

-Oui, mais tu m'as quand même aidé et récolté pour ça deux jours decachot sans nourriture. Persiste Autevielle. Ensuite avec la nourriture desforces de sécurité, je me suis étoffé. Nous avons gravi les échelonsensembles. Et ils m'ont soutenu quand j'ai perdu ma femme et mon fils en coucheil y a vingt ans. Alors quand Isaac nous a dit devoir travailler parce quesa retraite était insuffisante, je n'ai pas hésité une seconde. Surtout que jesuis le parrain de son aîné.

- Moi, je suis arrivé dans leur compagnie bien après, explique Derblay. Monpère était maitre d'arme pour les riches marchands qui voulaient pouvoirse défendre d'éventuel attaque de Troll, ce qu'ils n'ont certainementjamais dû réussir à faire avec leur cure dent juste bon à parader. Ayant étébercé dans l'escrime dès que j'ai su marcher, je fanfaronnais etaccumulais les conquêtes féminines. A quatorze ans, j'eu le mauvais goût defleureter avec la fille du capitaine des forces de sécurité de Vulcaniaqui me découvrit dans la chambre de la demoiselle. Il connaissait mon père pouravoir servi avec lui, il me laissa alors le choix entre m'engager et sonépée. C'est comme ça que j'ai connu ces deux gaillards. Étant le parrain deJulia, la deuxième d'isaac, je ne pouvais faire autrement que de le suivredans ce nouveau boulot.

-Derblay est arrivé dans notre bataillon comme un chien dans un jeu de quille,commente Isaac. Nous étions tous là depuis trois ans et lui, même s'ilavait notre âge, était un novice. Les autres ont donc voulu le bizuter.Autevielle ne supportant ce genre de chose, c'est interposé. Moi, voyant quecela allait mal tourner, je suis intervenu. Je faisais déjà cette tailleet avais presque la même force. Donc les choses en sont restées là.
Depuis nous sommes inséparables et grâce à lui nous savons réellement nousservir de nos armes. Ce qui fait que si nous sommes là, c'est en partiegrâce à lui. L'autre raison, c'est le génie tactique et de commandementd'Autevielle. Il a terminé capitaine et nous a sauvé de nombreuses de fois enanalysant parfaitement la situation et en trouvant la solution.

- Si j'ai pu devenir capitaine c'est uniquement parce que vous étiez meslieutenants. Toi avec ta force et Derblay avec son don pour l'escrime, vousavez toujours pu exécuter des plans fous et vous sortir de situationimpossible, les autres vous ont suivi et c'est tout. »

Ambre et Lucie sont attendrie de les voir. Visiblement cette conversationsur les mérites des deux autres supérieurs au sien est une vieille discussionet c'est agréable.

-« Merci messieurs de vos confidences. Cela va donner beaucoup plusde relief à l'histoire que je vais écrire sur cette mission. Derblay pendantnotre voyage, pourriez-vous corriger ma technique d'escrime et m'apprendrecertaine botte dans ce domaine on est jamais trop préparé ?

- Pas de problème, répond l'homme avec enthousiasme. Cela me ramèneravingt-cinq ans en arrière.

- merci. »

KanaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant