Coucher de soleil.

8 3 2
                                    

C'est mon premier coucher de soleil.

Allongée sur le sable fin, j'observe le ciel se colorer de mille nuances d'orangé.

C'est si beau.

Les vagues lèchent mes orteils avant de se retirer dans la mer et de revenir.

Un cycle éternel. Comme la vie.

Des larmes coulent sur mes joues et, pour une fois, je ne fais rien pour les retenir. Bien vite, je sanglote, là, sur le sable mouillé, sous l'aquarelle où le soleil s'est dilué. Je ne regrette pas ma décision.

A Newtopia, je n'aurais jamais connu cette sensation. Cette sensation d'être impuissante, subjuguée par l'immensité de la nature. Ça n'a rien de comparable avec le ciel de béton de ma ville, avec ses arbres synthétiques et ses artifices technologiques. Quand ils ont appris ma décision, mes collègues m'ont regardé d'un air horrifié. Comme si j'étais une mutante. Ça m'a fait mal. J'aurais dû anticiper leur décision. Eux qui avaient toujours su se contenter de leur vie sous-terraine, comment auraient-ils pu comprendre mon désir de quitter la ville ?

Depuis l'enfance, on m'a répété que j'étais une privilégiée et qu'il fallait me montrer digne de ce statut. A la surface de la terre se trouvent les délinquants, les voyous, les meurtriers et les cerveaux dérangés. Le beau monde, en somme. Les Anciens disent que la Terre a été divisée pour les retenir loin de nous, prisonniers. J'ai toujours pensé que c'était plutôt notre ville, la cité sous la terre, la véritable prison. Ils disaient tous que l'air à la surface était irrespirable et la température chaude, si chaude...Que les maladies s'y propageaient bien plus vite et facilement qu'à Newtopia. A les entendre, on avait tous une santé de fer.

Pourtant, c'est bien là que je suis tombée malade.

Une quinte de toux me secoue tout entière et quand j'éloigne ma main de ma bouche, j'y vois du sang. Du sang. Sur mes doigts.

Une vision se rappelle violemment à ma mémoire. Les Anciens, accusateurs : "C'est un élément perturbateur, elle veut nuire à notre monde, elle essaie de changer les choses. Elle va virer comme son père !". J'avais beau crier personne ne m'écoutait. Je ne voulais pas changer les choses ! Je voulais juste voyager, je voulais juste voir...la mer, la falaise, un coucher de soleil... Les regards déçus, consternés de mes proches...Lew qui détournait les yeux de moi...Etais-je donc un monstre ?

Mon père avait voulu s'opposer au gouvernement quand je n'étais qu'une enfant. Depuis lors, j'avais toujours eu l'impression que mes gènes incitaient les gens à témoigner plus de réserve en ma présence. Tout cela m'a donné raison. Il a suffi que je témoigne de mon envie de quitter la ville, de voyager, pour être cataloguée criminelle ou future délinquante. Les Anciens ont pris des mesures drastiques.

J'ai été enfermée. Surveillée, maltraitée. Malgré tous mes efforts, on me gardait prisonnière. Dans le dernier sous-sol de Newtopia, comme si les Anciens prenaient un malin plaisir à m'éloigner de ce qui m'attirait le plus.

Et puis...j'ai cédé. Je suis devenue ce qu'ils voulaient tous que je sois.

Une criminelle.

Une meurtrière.

Je revois le sang de mon bourreau couler entre mes doigts, étrangement chaud.

Je m'entends pousser un rire hystérique qui se réverbère contre les murs, fort. Si fort.

J'aurais réussi mon objectif. Monter à la surface.

Brisée, malade mais j'y serais allée.

Mon coeur ralentit, tout doucement, comme s'il marquait une pause dans cet instant de pure beauté. Mes larmes sèchent.

A l'horizon, le soleil disparaît. Un voyage éphémère. Comme la vie.

C'est mon dernier coucher de soleil.

12 nouvellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant