chapitre 6

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Dix-sept heure, télé brayant des notes de Beethoven, perfusion branchée au bras, livre à la main. La course des mots prenait son départ dans l'esprit d'Alyzée. Elle aimait le gout qu'avait chacune des histoires qu'elle lisait. Il lui arrivait de s'attacher à un personnage de façon si viscérale qu'elle tentait d'en écrire la suite. Imaginer le visage de ces drôles de bonhommes, parfois encore plus pommés qu'elle ; l'aidait à se trouver ne serait-ce qu'un tout petit peu. Elle avait beau dire ce qu'elle voulait à Anatole ; sa vie lui manquait. Ses amis, les cours, son club de théâtre, ses vieilles seringues de la victoires posées sur le bureau ou encore les sacs de course qui trainent devant le frigo. Elle détestait cette sensation d'addiction aux souvenirs. On peut s'imaginer qu'une personne qui tente de s'ôter la vie est tout sauf heureuse. Et c'était peut-être le cas. Pourtant ; depuis quelques temps, après toutes les merdes qu'elle avait traversées, elle reprenait un court de vie normal et c'était devenu ingérable. Sa vie sociale s'était d'un coup mise en marche, la lumière parvenait peu à peu à traverser les vieux rideaux de sa chambre à l'étage. Elle était passée de Lizy la gothique droguée aux médicaments à Alyzée l'enfant des cieux. Un revers qu'elle n'assumait pas psychologiquement. Surtout face à sa mère qui plongeait dans la dépression sans s'en soucier. Il avait été long pour elle de se sevrer. Il lui avait fallu des mois entiers avant de réussir à entrer dans sa chambre sans se jeter sur la première boite qui lui tombait sous la main. Elle avait énoncé la volonté de se sortir elle-même de ce cauchemar. Elle se croyait entièrement capable de gérer ses sautes d'humeurs et ses rechutes mais s'était rapidement rendue compte qu'elle n'était pas si forte que ce qu'elle espérait. Il en était ainsi ; c'était ça la vie, on se bat pour un combat parfois perdu d'avance ; mais on s'en fout, on y croit, on y met corps et âmes pour au final n'obtenir que le gout amer de la défaite. Elle referma son livre avec force. Les mots étaient durs aujourd'hui. Emingway et son vieux pêcheur alcoolique lui brûlaient la rétine. Anatole était en radio depuis de longues minutes déjà ; elle se sentait seule dans ce genre de situations. Il devenait le grand frère dont elle aurait eu besoin il y a quelques temps. Pourtant, il était arrivé en retard et n'était qu'un gamin pourri gâté qui ne tenait pas en place. Elle ferma les yeux. Et s'il était arrivé plus tôt ? Peut-être aurait-elle pu l'accepter. Lui trouver une place bien au chaud dans son cœur épineux. Un homme apparu sur le pas de la porte. Déjà assis ; dans un sofa couleur café. Un enfant dans les bras. Deux mains rocailleuses qui triturent un jouet. Un lit de bébé dans une chambre aux odeurs de violettes trop sucrées. Un bonheur trio. Quatuor naissant. Une âme qui s'échappe. Puis la deuxième. L'homme s'en va.

Elle frissonna, prise d'un vertige. La fatigue la faisait délirer. Peut-être devrait-elle dormir ? Elle n'avait plus aucune notion du temps. En quel mois étions-nous ? Et si c'était noël ? Non, pas encore. Foutu père noël pensa-t-elle. Il fallait qu'elle passe le temps. Elle s'empara d'un pinceau et d'une feuille de papier cachées sous son lit. Son bras gauche restait mobilisable et elle n'allait surement pas se priver d'un loisir qu'elle aimait plus que tout. Elle se mit à faire de grands gestes sur le berceau de ses mémoires. Traits après traits elle essayait de se souvenir du mieux qu'elle pouvait de la figure de son petit frère. Ici, les taches de rousseurs ; et là, ses fossettes. Petit à petit se dessinaient les détails d'un visage chaud, souriant et familier. Elle resta là un moment, à contempler cette figure réconfortante qui lui rappela qu'elle n'était pas seule. « Pardon bro' » se murmura-t-elle à elle-même. Elle commençait à piquer du nez quand une voix familière la happa de sa langueur. Nat revenait. D'un mouvement sec elle glissa son œuvre sous son oreiller et posa sa tête par-dessus. Elle ferma les yeux

-hey !

-...

-Ly ?

Toujours le même silence plus lourd à chaque seconde. Qu'elle était conne quand elle faisait ça.

-T'es chiante. J'en ai marre de tes sautes d'humeurs à la con. Son reproche sonnait atrocement faux. Elle avait le droit. Il se retint de lui hurler des insultes de douleurs. Elle ne le méritait pas. Inspire. Expire. Inspire. Merde ; elle me casse les couilles. Expire. Elle est égoïste. Inspire. Ça va. Ça ira toujours de toute façon. Tant qu'elle est là.

Elle avait besoin de solitude. Juste pour une fois ; et elle savait qu'il ne lui en voudrait pas longtemps. Il était comme ça le petit gars. Impulsif; crieur, mais pas rancunier. Et c'était tant mieux.

Et si tu m'attendais?Donde viven las historias. Descúbrelo ahora