Chapitre 5 : Héritiers en cavale

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La paille attaquait chaque parcelle de ma peau, dès que la charrette était secouée les longues tiges s'enfonçaient dans mes bras nus. Néanmoins, je ne faisais aucun bruit et subissais silencieusement cette torture passagère. Sven se tenait près de moi et me regardait en souriant, amusé par mon agacement.

- On aurait pu y passer et toi tu râles pour quelques brins d'herbe, chuchota-t-il.

Nous avions réussi à nous glisser dans une charrette transportant de la paille et nous espérions que cette dernière nous dissimulerait le temps de nous enfuir de l'enceinte du palais. Nous étions désormais sur une route de campagne cahoteuse qui nous menait vers une destination inconnue. Sven et moi étions couchés sous la paille et cette situation devenait pénible. L'intégralité de mon corps me démangeait et mes jupons trempés se collaient mollement contre mon corps frileux. Heureusement que je m'étais débarrassée de la partie en velours de ma robe, elle aurait été gorgée d'eau. Nous entendîmes les paysans conduisant la charrette échanger quelques mots, ils parlaient de la première étape de leur livraison : une petite ferme qu'ils atteindraient bientôt. Sven et moi échangeâmes un regard entendu. C'était le moment de filer avant d'être découverts et reconnus. Mais étions nous seulement connus ici, étais-je encore la meilleure amie de Céleste dans ce royaume ? Mon visage avait-il aussi été arraché des mémoires de cet endroit où j'avais passé tant d'étés ? Je ne pouvais pas l'envisager. La charrette s'arrêta et nous entendîmes des bêlements. Des moutons devaient traverser la route. Sven me fit un signe et nous nous glissâmes discrètement hors du tas de foin. Le prince d'Albion fut le premier à toucher le sol et m'aida à descendre rapidement. Il lança une fois de plus un regard décontenancé face à ma tenue. Effectivement j'avais une allure plus qu'étrange avec ce corset assorti de jupons de tulle.Puis sans bruit, nous nous enfonçâmes dans la forêt bordant la route. Je marchais derrière mon compagnon de route sans prononcer un mot. Au bout de plusieurs kilomètres, épuisée, je me laissai tomber dans l'herbe.

-  Sven, l'interpelai-je pour la première fois depuis plusieurs heures, ça ne sert à rien de marcher comme ça. Il faut qu'on se repose.

-  Tu as raison, répondit-il en se tournant vers moi. Il faut qu'on trouve un abri. 

Je regardai tout autour de nous : ce n'était que forêt à perte de vue. Nous étions perdus. Désespérée, je me tournai vers Sven.

-  Nous ne sortirons jamais d'ici... Nous ne savons même pas où nous sommes et nous ne savons pas non plus si notre recherche est publique et soumise à rançon... Regarde nos vêtements, ça coule de source que nous sommes de sang royal, nous allons nous faire repérer en deux secondes dès que nous aurons mis les pieds hors de cette forêt.

Ce que je venais de dire me frappa comme une évidence. Il n'y avait pas d'issue.

-  Sven ouvre les yeux, soit on meurt de faim et de froid en se cachant dans cette forêt, soit on arrive à en sortir, et on se fait pendre. Qu'est-ce qui se passe ici, qu'est-ce qui se passe ? criai-je désespérée.

Les larmes jaillirent de mes yeux. Sven s'avança, se baissa au-dessus de moi et retira les pinces d'or qui retenaient mes cheveux en arrière. Je me tus, surprise. Je tremblais, les larmes coulaient sans retenue. Il mit les pinces dans ses poches.

-  Lève-toi, me dit-il gentiment.

Je me levai en reniflant et me retrouvai en face de lui, à quelques centimètres seulement. Je lui arrivais aux épaules. Je refusais de croiser son regard et me contentais de fixer son torse, immobile. Je ne voulais plus qu'on me voie pleurer, je voulais retrouver ma dignité, mon peuple, ma famille. Sven sembla se moquer de mon regard déviant. Il plongea ses mains dans mes cheveux sales et les décolla de mon crâne. Il les plaça ensuite sur mes épaules, les froissa et leur redonna un peu de volume.

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