Derrière le rideau

47 8 2
                                    

Le rideau se leva sous les applaudissements du public. Minerva sembla très déçue. Isobel comprenait. Derrière le rideau se trouvait... Un mur blanc.
Une lumière éclaira soudain l'ensemble du mur en question et la séance commença avec les actualités. Comme sortant d'une radio, une voix s'éleva pour raconter l'anniversaire de Staline, célébré la veille, puis parla des conséquences du Jeudi Noir sur l'économie mondiale. Isobel se demandait ce que cela voulait dire, lorsque Minerva attira son attention et demanda : « Est-ce qu'il y a Papi ? »
Un frisson d'angoisse parcourut Isobel, comme à chaque fois que sa fille faisait référence au monde sorcier. Isobel avait montré des photos magiques de ses parents à sa fille, et elle se rendait compte, maintenant, qu'elle l'avait fait bien trop tôt. Elle lui répondit « Non... » et espéra que, si des voisins avaient entendu l'enfant, ils croiraient que le grand-père était un homme politique ou un homme d'affaires. Isobel faisait de toute façon confiance aux moldus pour s'inventer une histoire crédible...

Les lumières se rallumèrent et des ouvreuses descendirent les allées avec leurs paniers de friandises. Déjà, des spectateurs les hélaient depuis leurs places, tandis que d'autres se levaient pour aller à leur rencontre. Minerva observa avec envie des enfants courir s'acheter une friandise. Ses parents échangèrent un regard interrogateur, se demandant si oui ou non ils pouvaient se permettre... Finalement, Isobel, qui s'occupait principalement des finances de la famille, décida que c'était possible. Elle glissa une petite pièce dans la main de sa fille, et lui dit qu'elle pouvait s'acheter une lollipop. Ils l'observèrent descendre tant bien que mal du fauteuil, qui voulait absolument se refermer avant qu'elle ne soit debout, puis courir vers l'ouvreuse la plus proche, déjà sollicitée par de nombreuses personnes. Minerva était toute petite, ce qui lui laissait peu de chance d'avoir sa lollipop rapidement.
Robert en profita pour reprocher une fois de plus à Isobel sa complaisance envers leur fille. Quand on sort en famille, les enfants doivent se taire, rester sagement assis là où on leur dit de s'asseoir et avoir de la gratitude pour les gens qui leur adressent la parole. C'était ainsi !
Isobel poussa un soupir et lui rappela, une fois de plus, qu'elle devait absolument tout expliquer à Minerva pour que leur fille ne fasse pas de "bourde". Et par bourde, Isobel espérait que Robert comprenne "magie spontanée". D'ailleurs, songea-t-elle, vu comment sa fille se retrouvait au premier rang des clients alors qu'elle était arrivée bonne dernière et recevait la lollipop convoitée, il se pouvait justement qu'elle ait commis une bourde à l'insu de tous... La fillette revint enchantée vers ses parents, se rassit et commença la friandise.

Les lumières s'éteignirent de nouveau et le rideau de velours remonta. Une musique s'éleva dans la salle, et quelques murmures surpris retentirent un peu partout. Sur l'écran, Minerva découvrait, ravie, une souris dessinée qui sifflotait gaiement, aux commandes d'un bateau à vapeur. Ses parents, comme tous les adultes, étaient fascinés et ne virent pas avant la fin du cartoon que leur fille, subjuguée, flottait à une trentaine de centimètres au-dessus de son fauteuil qui ne cherchait plus à se refermer... Isobel attrapa prestement sa fille et la posa sur ses genoux, au moment où les lumières se rallumèrent.
Cette fois-ci, les ouvreuses ne vinrent pas dans la salle et les spectateurs se levaient pour sortir.
« C'est déjà fini ? s'exclama Minerva, déçue.
- Non ! répondit leur voisin de la rangée derrière eux en riant. C'est l'entracte ! Comme tout à l'heure, mais on va dans le hall, cette fois-ci. Tu vas voir, ajouta-t-il en se penchant vers elle. C'est très... Musical. »

Curieux, Robert et Isobel suivirent la foule. Beaucoup de gens étaient massés autour du bar et près de la petite scène devant laquelle ils s'étaient arrêtés une heure plus tôt. Quelques-uns buvaient déjà un café et regardaient vers la scène, manifestement habitués. Un petit orchestre de Jazz était déjà installé. Quand la plupart des spectateurs furent dans le hall, ils démarrèrent leur concert et les notes de Duke Ellington firent vite passer le temps. Les musiciens saluèrent et retournèrent en coulisses.

Cette fois-ci, la fosse de l'orchestre était pleine. Les musiciens s'étaient installés pendant que les spectateurs écoutaient le concert de Jazz. Robert trouva cela plutôt malin de faire patienter avec un spectacle et comprit pourquoi on leur avait proposé de sortir pendant l'entracte. Isobel lui répondit :
« Mais dans ce cas, comment est-ce qu'ils ont fait la musique, pendant le cartoon ? Il n'y avait personne, dans la fosse de l'orchestre !
- Excusez-moi, interrompit une nouvelle fois leur voisin de derrière. Je peux vous répondre, si vous voulez.
- Bien volontiers. » lui répondit Robert en se tournant vers lui.

L'homme leur expliqua donc que le cartoon était une prouesse technologique. Jusque là, le son des films était joué par un orchestre. C'est pour ça que les habitués s'étaient extasiés aux débuts du cartoon.
Robert et Isobel le remercièrent pour son obligeance et ses explications et se retournèrent pour regarder le film qui démarrait. Bien vite, la musique de l'orchestre les transporta aux côtés de Charlie Chaplin qui s'était retrouvé, bien malgré lui, embauché dans un cirque.
Le reste de la séance était composé de deux films comiques, mais Minerva ne les vit pas. Fatiguée, elle s'était endormie pendant le générique du film « Le cirque », recroquevillée dans son fauteuil. Elle n'avait même pas bronché quand les lumières s'étaient rallumées et que les gens s'étaient levés pour réclamer des friandises aux ouvreuses qui circulaient dans la salle. Elle ne s'était réveillée que vers la fin du second film, « Le Figurant », avec Buster Keaton. Isobel l'entendit rire avec les autres spectateurs en le voyant dans des positions abracadabrantes, accroché par les jambes au mât de son bateau.

Isobel McGonagallWhere stories live. Discover now