Prologue

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Minerva, du haut de ses quatre ans, jouait avec ses poupées dans le salon sous l’œil attentif de sa mère. Tandis que l'enfant faisait marcher Margaret en la tenant par les bras, le petit pantin Andrew se leva pour soutenir la poupée. Isobel soupira. Comment pouvait-elle empêcher sa fille de faire de la magie, alors qu'elle était déjà si puissante ? Et pourquoi n'arrivait-elle pas à se réjouir des capacités de son enfant ?

Il faut dire que, quand elle avait appris sa grossesse, Isobel avait espéré de toutes ses forces que son enfant soit moldu. Un enfant sans aucun pouvoir magique, voilà qui lui aurait largement facilité la vie. Le sort en avait décidé autrement. Et Isobel avait dû avouer à son mari qu'elle était une sorcière et lui expliquer tout ce que cela impliquait pour Minerva et pour elle. Et, surtout, pour lui. Quand elle broyait du noir, comme en ce moment-même, elle regrettait de n'avoir pas avoué la vérité à Robert quand il l'avait demandée en mariage. C'était simple, après tout. « Robert, je suis une sorcière. Est-ce que tu veux toujours m'épouser ? » Il aurait répondu oui et c'était parfait, ou il aurait répondu non et la suite était simple. Un sort d'oubliettes sur la discussion sur la sorcellerie et elle lui aurait dit qu'elle ne souhaitait pas l'épouser.
C'était tellement simple, vu comme ça. Mais elle n'avait pas pu s'y résoudre sur le moment. Elle savait que c'était parce qu'elle avait peur que Robert change d'avis et la repousse. Par la suite, sa famille avait menacé de la renier si elle persistait à vouloir épouser son moldu. Elle avait persisté et n'avait rien avoué à Robert... Avant d'y être obligée, quelques mois après la naissance de Minerva.

Au début du mois de novembre 1929, le Révérend Robert McGonagall rentra de sa journée à l'église anglicane avec une mine perplexe. Minerva se précipita sur lui pour lui faire un câlin et lui raconter sa journée, avant de retourner jouer avec ses poupées. Isobel était dans la cuisine et vit tout de suite que quelque chose n'allait pas – et que ce quelque chose n'était pas les manifestations de magie de Minerva avec ses poupées.
Robert lui expliqua de quoi il retournait : il avait trouvé, dans le courrier de la paroisse, une lettre avec plusieurs billets pour aller au cinéma, à Wick, la grande ville de la région. L'invitation indiquait que les billets étaient valables jusqu'à la fin de l'année.

« C'est tentant, quand même... dit Isobel après avoir vu le programme qui accompagnait les billets. Tu as vu, ils prévoient une séance de films humoristiques, le dimanche avant Noël. On pourrait y aller avec Minerva !
- Je ne crois pas que ce soit très raisonnable d'accepter ces invitations.
- Pourquoi pas ?
- J'aurai tellement à faire avant Noël, de toute façon !
- Tu es pourtant disponible le dimanche après onze heures, en général. Il te suffira de refuser les invitations à déjeuner de tes paroissiens, pour une fois.
- J'ai l'impression que c'est de la corruption.
- Vraiment ? Pourtant, tu acceptes bien parfois les carottes ou les pommes de terre de nos voisins.
- Ce n'est pas pareil.
- De qui vient l'invitation ?
- D'un certain Finley MacAlister. C'est le propriétaire de la salle, d'après sa signature.
- Tu vois. Il t'envoie ses carottes, lui aussi ! dit Isobel en riant. À mon avis, il invite les notables de la région pour attirer du monde dans son cinéma, tout simplement.
- Je ne sais pas...
- Est-ce que les instances anglicanes t'ont envoyé des instructions pour mettre en garde tes paroissiens contre ce divertissement ?
- Non...
- Dans ce cas, une sortie de ce genre est envisageable...
- Le train pour y aller coûte cher.
- Ça, j'en fais mon affaire ! 
- C'est-à-dire ? demanda-t-il, éberlué.
-Plusieurs amies m'ont déjà proposé de m'acheter certaines de mes confections, comme des robes pour elles. Je ne leur demanderai pas beaucoup, mais je devrais pouvoir gagner assez pour payer les billets, d'ici à fin décembre. »

Robert n'était toujours pas convaincu, mais il n'avait plus d'arguments. Il finit par accepter d'emmener sa famille à Wick, le dimanche vingt-deux décembre, après l'office.

Isobel McGonagallWhere stories live. Discover now