Solitude

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Chris voulut me raccompagner. Ce n'était pas nécessaire, j'étais prête à prendre un taxi, comme la dernière fois, mais il insista. Il avait pris la voiture de son grand-père pour sortir ce soir-là, un vieux tacot mais qui marchait, et il me fit monter dedans pour me conduire dans la nuit.

Je regardais par la fenêtre. Les lumières, la ville, les rues, tout ça... Ça m'hypnotisait.

- C'était bizarre, ce qu'il t'est arrivé, tout à l'heure, me dit-il.

- Quoi ?

- La façon dont tu t'es mise à pleurer.

- Oh...

Je me sentis obligée de dire :

- Ce n'était pas des larmes de tristesse.

Je n'avais pas envie qu'il en éprouve de la gêne - ni lui ni ses potes - mais je comprenais que ça avait de quoi être perturbant. Ce n'était pas quelque chose que j'avais pu gérer, ceci-dit.

Chris ne dit rien et je restai à fixer l'extérieur, rêveuse.

Au bout d'un moment, il me relança :

- Tu as une idée de la raison ?

Je pris une inspiration.

- Oui.

Puis j'ajoutai :

- Elles avaient besoin de sortir.

Je n'avais pas envie de lui mentir, mais je ne voulais pas non plus lui raconter. Pour quoi faire ? Je pense qu'il savait très bien que j'étais mal, que c'était flagrant, que Loïc lui aussi le savait, mais on n'avait rien de plus à se dire à ce sujet. On couchait ensemble, c'était bien. C'était amplement suffisant, ainsi. Pourquoi aurait-on dû se faire des confidences ?

Je sentis Chris pensif, comme embarrassé. Je ne voulais vraiment pas qu'il le soit mais que faire ?

Il me dit finalement :

- Tu as eu mal ?

- Non.

En fait, ce n'était pas tout à fait vrai : j'avais bien eu un peu mal, mais ce n'était pas grand-chose. Et je n'avais pas pleuré à cause de ça. Ce n'était pas des larmes de douleur qui étaient sorties, mais de trop plein. Je ne sais pas trop comment le dire, mais elles devaient le faire. Il y en avait besoin.

- Arrête-toi là, lui demandai-je à plusieurs rues de chez moi.

Je ne voulais pas qu'il sache où j'habitais. C'était peut-être con mais je voulais garder cette distance-là, encore. Qu'aucun d'entre eux n'approche de ma vie. De l'autre. De celle qui ne se limitait pas à moi à poil avec plusieurs mecs autour de soi. Ça me faisait même vraiment chier d'avoir craqué nerveusement ainsi devant eux, pas parce que je n'en avais pas eu besoin, mais parce que j'aurais voulu ne pas avoir à le leur montrer, qu'ils n'aient pas à voir ça, et je savais que c'était fichu pour passer encore pour la fille qu'on saute sans se soucier de ce qu'elle peut encaisser ou non. La cas soc' qui a l'air de ne rien ressentir. Ça ne marcherait plus, maintenant. Et peut-être que je leur avais fait peur.

Dans le fond, ça n'avait pas marché longtemps, d'ailleurs. Loïc m'avait captée trop vite. Chris avec.

Il s'arrêta. J'ouvris ma portière.

- On se reverra ? demanda-t-il en m'attrapant par le poignet avant que je sorte.

J'examinai la question.

- Aucune idée.

Et c'était vrai. Je ne savais rien, encore, de ce qu'il adviendrait.

Il ne dit rien et j'eus de nouveau ce sentiment qu'il restait juste à mon écoute, ne me brusquant pas, ayant compris, aussi. Si bien compris... Trop bien.

J'ajoutai, gênée par sa main qui me retenait :

- Il faut que je fasse le point.

Puis je disais :

- Mais c'était très bon.

Et je lâchais un léger sourire, parce que c'était vrai : ça avait été très bon, et très chaud, et très excitant. Et Chris m'avait donné du début à la fin ce que j'avais voulu.

Tout comme Loïc.

Loïc qui ne possédait pas la douceur de Chris mais qui, d'une autre manière, avait parfaitement compris ce que je voulais. Et me le donnait à sa façon à lui : plus brute, avec moins de concessions, n'attendant pas que ça vienne de moi-même avant de me bousculer. Et pourtant, il avait fait ce qu'il fallait pour que ça se passe bien, pour moi.

Chris se pencha alors vers moi et, de nouveau, il m'embrassa de cette manière qui me bouleversait tant, le concernant. Comme si... Je ne sais pas. Comme si j'étais importante. Comme s'il y avait vraiment quelque chose entre nous.

J'en fus perturbée et blessée.

Je sortis, refermai la portière et attendis que Chris redémarre avant de me remettre en route.

Je l'avais fait s'arrêter à bonne distance de mon immeuble, donc je marchais durant un petit moment. Je dirais une quinzaine de minutes, facile, et j'observais la ville, en même temps. Il y avait toujours une petite « faune », dans mon quartier, quelle que soit l'heure, mais plus particulièrement la nuit. Des jeunes, qui rentrent de soirée. Des couples, qui paraissent pressés. Et toute la masse des ché-per. Une bande de six types jouaient à la pétanque au milieu d'un square, avec des bouteilles à la main et leurs chiens qui courraient.

J'atteignis la porte de mon immeuble, j'entrai, et je montais lentement les escaliers.

Lorsque je parvins dans mon appartement, sa solitude me pesa, me meurtrit me trancha la chair ...

J'enlevai mes chaussures, mon manteau, mon pull, posais mon sac et me servis un verre d'eau.

J'entendais Ayme dormir, son souffle lent dans la chambre d'amis.

J'y allai.

Et je passai un moment à l'observer.

Il était beau. Toujours. Ce fut ce que je me dis, alors. Il était plus que ça : il était l'être en qui j'avais déversé l'intégralité de mon âme, donné mes rêves et mes espoirs... Et il l'était plus encore avec son visage apaisé dans le sommeil, quoique... pas tout à fait apaisé. Un pli barrait légèrement ses sourcils. Ce pli qui ne le quittait plus, depuis quelques temps. Le pli du poids de ce que l'on vivait.

Alors, comme ça, parce qu'il me fut soudain impossible de m'en empêcher, j'allai m'allonger à côté de lui, lentement, si lentement, si discrètement, faisant de toutes mes forces attention à ne pas le réveiller. Mais ça ne marcha pas parce que... je ne sais pas... réflexe, peut-être, ou besoin si retenu aussi pour lui qu'il ne pouvait qu'y réagir dans la seconde : à peine fus-je à ses côtés que ses bras m'enlacèrent. Fort.

Si fort.

Si intensément.

Ces bras qui étaient à nuls autres pareils.

Comme pour rattraper tout le temps durant lequel on ne l'avait plus fait.

Et alors, je m'y blottis et, comme ça, encore, je me remis à pleurer. Fontaine intarissable, silencieuse, qui me semblait ne jamais pouvoir s'arrêter.

Ainsi sombre la chairOù les histoires vivent. Découvrez maintenant