Les Endroits Perdus

Dieu que cette ville estfroide ! Belle, mais froide. Un peu comme ces femmes de la hautesociété qui ne dépensaient leur fortune en produits de beauté etopérations de chirurgie esthétique que pour mieux se refuser auxhommes avec un sourire aussi hautain que satisfait. Pourquoi avais-jedonc décider de passer mes vacances ici ? Je ne vivais pas sousles palmiers et un peu de soleil n'aurait pas fait de mal à ma peau.Alors pourquoi Édimbourg ? L'envie de mettre les voiles sansdoute, d'oublier un peu les soucis et d'arrêter de tourner en ronddans cet appartement... D'ailleurs, avait-il toujours été aussipetit ? Les murs ne s'étaient-ils pas rapprochés ? Lesfenêtres ne s'ouvraient plus et c'est pour cela quej'étouffais ? Je connaissais la réponse à ses questions, maisque voulez-vous ? Toutes les vérités ne sont pas bonnes àdire, surtout si c'est à soi-même qu'on se doit de les pointer.

J'étais donc arrivédans l'Athènes du Nord, la chaleur en moins. Les contours de CaltonHill se dessinaient encore dans la montée de la nuit. J'étaisarrivé depuis 3 jours et je n'étais pas encore allé là haut. Mescompagnons de table m'assuraient que cela en valait la peine.C'étaient deux étudiants français venus ici pour un festivalquelconque dont j'avais déjà oublié le nom. Nous étions voisinsdans le petit hôtel où j'avais posé ma valise et avait engagé laconversation avec eux quand ces derniers ont essayé de me parlerdans un anglais hésitant et teinté d'un fort accent méridional.

- Non, mais je suis français... Ne vous embêtez pas, leur avais-je dit.

Trop contents d'avoirquelqu'un à qui parler, ils m'avaient invité à me joindre à euxpour un repas et un verre. Je n'avais adressé la parole qu'auchauffeur du bus que j'avais pris à l'aéroport (pour prendre unbillet) et à la réceptionniste de l'hôtel (pour prendre mes clés)depuis que j'étais arrivé et, bien que je n'attendais rien de leurcompagnie, j'acceptais. Nous avions soupé dans une brasserie etcommandé le plat national. Je ne sais pas si on trouve du haggis enconserve, mais si une telle chose existe, je suis certain que c'estqu'ils nous ont servi en voyant mes nouveaux amis et leurs dégainesde touristes. Les entendre s'esclaffer en se disant l'un à l'autre« Hey, tu manges des couilles de moutons » à chaquenouvelle bouchée, m'amena sérieusement à interroger mon iPhone surl'existence ou non de la peine de mort en Écosse.

Déclarant qu'un si bonrepas et une si douce soirée (moins de 10° un jeudi soir du moisd'Août bande d'idiots) se devait de se poursuivre au pub, nous nousretrouvâmes devant trois pintes de Guiness dans un établissementque les guides touristiques avaient oublié d'inclure dans leursbrochures ou avaient inclus dans leurs brochures avant de changerd'avis et de brûler tout ce qu'il avait imprimé. L'alcoolcommençait à avoir un effet certain sur mes compagnons et c'estaprès être chacun allé visiter les toilettes du lieu, sans doutepour y vomir leur « succulent haggis » trop gras qu'ilsdécidèrent de rentrer à l'hôtel.

- Je reste prendre un dernier verre, dis-je.

J'aurais bien vouluajouter leurs prénoms à la fin de cette phrase, mais je me rendscompte maintenant que je ne les connaissais même pas.

- Comme tu veux... À demain... euh... mon pote...

Ils ne devaient pasconnaître mon nom non plus.

Quelle tranquillité !Étais-je moi-même aussi bruyant quand j'étais étudiant ? Ouaussi inintéressant ? Était-ce la faute de la télé-réalité ?Je me levais pour aller commander un whisky quand je la vis.

Je serai encoreaujourd'hui incapable de la décrire. Tout ce dont je me souvienssont ses cheveux d'un noir charbonneux ornés d'un ruban rouge et deses dents blanches comme le nacre. Elle était seule, debout à côtédu comptoir comme certains se tiennent debout à l'arrêt de bus.Elle attendait quelque chose et - jamais je n'aurais pu le deviner -c'était moi.