Je m'étais enfin retournée et je toisais la jeune femme étendue face à moi. Les bras croisés, les yeux inexpressifs, le visage froid, Marian m'avait rarement vue réagir ainsi. Et pourtant, elle savait ce que cela faisait de me pousser à bout.

- Tu es différente de nous toutes. Rien en deux ans ne t'a jamais atteinte. Elles étaient toutes désemparées, elles ressentaient toutes de l'injustice d'être ici, et toi tu les as guéries. Je ne sais pas comment, mais je sais que c'est toi.

- Tout ce temps enfermé, ça t'a fait perdre les pédales.

- Ne nie pas ce que je suis en train d'affirmer, s'il te plaît. Tu me dois bien ça. C'est de ta faute si je suis ici. Tu pourrais au moins me dire la vérité.

Je fis deux pas dans sa direction, me positionnai au-dessus d'elle pour reprendre le pouvoir, mon visage déformé par la colère.

- Ne parle pas de vérité que tu ne maîtrises pas.

Marian me repoussa d'un bras ferme et se releva, presque paniquée par mon attaque. Après un temps, où elle s'assura que je ne ferai pas un pas dans sa direction, elle reprit de plus belle :

- Pourquoi ça t'énerve autant ? Parce que c'est moi qui ai découvert ça ?

- Tu n'as rien découvert.

- Bien sur que si, et tu ne supportes pas que je t'ai percée à jour. Je les vois te regarder depuis quelques temps. Elles avaient toutes le regard vide quand on est arrivées ici. Maintenant, elles ont repris conscience, elles te respectent, elles en sont presque à te vénérer. Putain, ça me dégoute rien que de les voir ainsi.

Je croyais qu'elle allait s'arrêter là mais elle n'en fit rien. Il lui fallait surement déballer son flot de paroles haineuses, une nouvelle fois.

- Qui es-tu pour engranger de tels mouvements de foules ? Tu as fait la même chose il y a deux ans. Tu nous as tous dominé par ce truc que tu dégages. Je ne sais même pas comment appeler ça. Tu nous as tous foutus en prison. Et pourquoi ? Par égoïsme ? Par esprit de contradiction ? J'avais des rêves bordel et tu me les as...

Soudain le sol se mit à trembler. Cela fut si brusque, si intense que Marian fut projetée en avant. Je la rattrapai avant qu'elle ne s'étale sur le sol. Aucunement affolée de cette secousse, je me relevai et jetai un regard vers l'extérieur. Là où il y avait des immeubles quelques secondes plus tôt, il n'y avait plus rien. Juste un nuage de fumée noire.

- Putain, qu'est-ce qu'il se passe ?

Marian qui s'était remise sur ses pieds, m'avait rejointe. Je me demandais exactement la même chose qu'elle. C'était le chaos dans les rues au loin. Explosion après explosion, le sol continuait de trembler. Avec la poussière, on n'arrivait pas à discerner grand-chose. Hélas, on entendait et je me demandais si ce n'était pas pire.

Jamais une foule n'avait criée ainsi. C'était aigüe, agonisant, implorant. Je m'écartai des barreaux pour calmer les battements de mon cœur et les questions qui se bousculaient dans ma tête. De son côté, Marian ne pouvait détacher ses yeux de tous ces gens qui couraient en tous sens. C'était presque malsain.

- Marian ! Ecarte-toi de là !

Mais elle ne m'écoutait pas. Elle était hypnotisée par ce qu'elle voyait. Surtout par ce qu'elle ne voyait pas. Car si la population fuyait, on ne pouvait en discerner la cause.

De nombreuses explosions retentirent une nouvelle fois à l'extérieur, cette fois au plus près de notre bâtiment. Les murs vibrèrent si fort que je m'attendais à ce qu'ils s'effondrent à tout moment. Quand l'alarme incendie retentit dans les couloirs, je compris que ce qui se passait dans la rue venait d'arriver jusqu'à notre prison.

Les portes de toutes les cellules s'ouvrirent à la volée sans qu'aucun garde ne vienne s'assurer que nous nous échappions pas. Cette fois, c'était grave.

- Liberté, chantonna Marian en se précipitant vers la sortie.

Devais-je lui rappeler ce qu'il venait de se passer dans les rues ? Devais-je lui dire que ce qui venait de se rapprocher d'ici était pire que les gardes ? Cela ne ressemblait en rien à la liberté tant espérée.

Alors que mon ex-amie rejoignait les autres prisonnières, j'inspirai profondément. Le choc à la sortie de ma cellule ne fut pas moins grand. L'aile droite du bâtiment avait été complètement démolie et une épaisse fumée provenait de l'extérieur. Les pans de murs se répandaient sur le sol, et surtout sur les corps qui s'était trouvés à proximité. Sous les décombres, on discernait les uniformes des gardes mais également ceux des prisonnières.

Il n'y a plus de rang dans la mort.

Les détenues qui étaient sorties précipitamment de leurs cellules s'étaient réunies près de l'ouverture et semblaient attendre leur sentence. Aucune n'avait le courage d'enjamber les décombres pour s'engouffrer dans le brouillard.

Je les regardai sans bouger, si quelque chose de terrible avait semé la terreur dehors, ce serait la même chose ici. Je me rendis compte la seconde suivante à quel point, j'avais raison.

Les bruits de pas qui se rapprocher étaient nombreux, réguliers et très assurés. Tout ça sur un fond métallique de claquement d'armure et d'armes en acier. En les voyant pénétrer, les prisonnières eurent un mouvement de recul unanime. Moi, je demeurai fascinée. Nullement effrayée. Juste curieuse.

Ce fut Marian qui me ramena à la réalité, elle m'attrapa le bras et me ramena contre un mur pour me cacher des nouveaux venus.

- Qu'est ce que c'est que ça ? Ils viennent d'où ces gars ? Ils sont immenses !

Je ne répondis pas. Toutes deux assises contre le mur, dissimulées de nos assaillants, je me penchai tant bien que mal pour les observer prendre possession des lieux. Je ne savais pas qui étaient ses types, mais ils devenaient les maîtres du monde ici.

- J'ai récupéré ça sur un garde.

Je fronçai les sourcils en voyant le revolver et la matraque que tendait ma partenaire.

- Qu'est-ce que tu fais avec ça ? Tu comptes en faire quoi ? demandai-je avec un ton plus dur que je ne l'avais vraiment voulu.

- Je ne compte pas me faire remettre en prison.

- Marian, tu ne comprends vraiment rien.

Elle se fichait de ce que je pouvais lui dire. Elle s'était mise devant moi et scrutait les nouveaux venus avec un air de défi. Et d'excitation ?

J'avais un mauvais pressentiment. Si je ne prenais pas les devants et n'agissais pas rapidement, on se retrouverait mortes dans quelques secondes. Les soldats montaient déjà les marches. Ils tuaient celles qui se tenaient droites devant eux.

Comme elle ne s'y attendait pas, lui prendre son arme des mains fut facile.

- Qu'est-ce que tu ...

- Tu es complètement inconsciente.

Je lui donnai un grand coup de crosse dans la nuque. Elle s'écroula. Je balançai l'arme dans un coin avant de me prostrer sur le sol. J'avais subitement le souffle court, et ma poitrine me faisait mal à force de monter et descendre à toute allure.

J'attendis. Les pas métallique vinrent jusqu'à moi. Le canon d'une arme souleva mes longs cheveux défaits. Je fermai les yeux, plus pour témoigner d'un potentiel respect que par peur. L'arme s'écarta de moi.

- Tu es intelligente. Pour une humaine...

La voix était aussi métallique que l'armure. Et elle fut la dernière chose que j'entendis avant qu'une torpeur anormale me fasse sombrer dans une nuit noire que je redoutais depuis toute petite...

SUPRÊMES - Tome 1 [Publié chez Éditions Cyplog]Where stories live. Discover now