Le Grand Bleu

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    Nous étions arrivés au début de l'été, les rayons du soleil réchauffaient mon visage à travers la vitre crasseuse de la vieille Twingo de ma mère. Comme les précédentes années, je reconnu la maison parme à la tourelle en bord de route, l'arbre en forme de cœur, le petit chemin dérivant de la colline.

    La voiture franchit le portail boisé, passant la petite bute dans un bruit assourdissant, dévala la route sinueuse pour se garer difficilement en face du bungalow cinquante-trois. Mes parents descendirent dans une énième dispute, en claquant les portières, incluant une histoire de bagages. Je posai pied à terre pour me dégourdir les pattes en m'appuyant sur mes genoux qui craquèrent bruyamment. Mon père ouvrit le coffre en râlant, transportant deux valises sur le dos, suivi de ma mère qui le houspilla. Je libérai Rimmel et la portai jusqu'aux petites marches pour l'y attacher en lui tapotant le crâne. Je récupérai mon unique sac et me dirigeai vers la chambre qui m'était destinée en fouettant l'air lourd envahi de mouches exaspérantes.


    Une fois installé – et mes parents calmés, je sortis le chien pour qu'il puisse faire ses besoins dans la zone prévue à cet effet. En passant, je remarquai que le cabanon face au nôtre, habituellement inoccupé, venait de recevoir une énorme automobile grise clinquante : comment des riches pouvaient-ils être aussi cons pour venir passer leurs vacances dans ce centre de camping pourrave ?

    La balade fût relativement courte. J'eus l'occasion de croiser une famille hollandaise qui, comme pour moi, était de retour tous les ans. J'étais passé par l'accueil pour qu'on me mette le bracelet au poignet, le fameux plutôt moche, trop serré et qui laisse une trace dégueulasse de bronzage. Au retour, mes parents s'y rendaient, ils avaient l'air réconciliés, ils me firent un grand sourire à mon passage. Ma mère me glissa qu'elle voulait que je les accompagne à la soirée de bienvenue tout en me donnant les clefs du bungalow. L'éclate.

    Sur le chemin du retour, Rimmel s'excitait sur les nouveaux riches d'en face : un gros rottweiler dormait les pattes pendantes entre les barreaux tandis que ses maîtres déchargeaient leurs affaires. Parmi eux, trois adultes, un adolescent et une enfant. L'adolescent était absorbé par la tablette blanche qu'il tenait, casque sur les oreilles et cheveux devant la figure, agitant la tête comme un demeuré. Je soupirai en rentrant, sortis la gamelle de la chienne pour la remplir et allai m'affaler sur le lit dur que je n'avais pas encore fait. La route avait été longue et nous étions partis très tôt ce matin, malheureusement, mon corps refusait toujours de sommeiller correctement dans les transports. Après quelques minutes de paix, les piaillements suraigus de ma mère m'obligèrent à me lever pour l'aider à ranger le matériel sanitaire. Je profitai de l'instant pour me regarder dans la glace. Malgré ma touffe blonde grasse habituelle, j'avais noté quelques changements depuis le début de l'été : bon point, j'avais déjà bronzé, mauvais point, j'avais des cernes immenses. Il allait falloir que je leur dise de me laisser grasse-matiner demain matin.


    Le soir arriva bien vite. Tandis que j'étais resté pour me reposer un peu, mes parents se séparèrent, l'un pour visiter le nouveau restaurant du village, l'autre pour aller acheter à manger. Quand mon père fût rentré, il prépara le dîner en se moquant des talents de cuisine de sa femme, surenchérit par mes piques. Elle n'allait pas toucher la gazinière du séjour, ça, c'était prévu d'office. Après le repas, nous avions laissé le jack russel sur place pour nous rendre à la soirée qui était fréquentée par des quadragénaires et par quelques étudiants qui se saoulaient au bar. L'un des animateurs du camping jouait les faux DJ en passant de vieux tubes d'été sur lesquels mes parents ne tardèrent pas à se trémousser.

    Moi, je préférais rechercher un coin tranquille pas trop loin. Je m'adossai contre un vieux tronc à une vingtaine de pas des châteaux rouges et bleus pour les gamins, croisant les jambes pour indiquer aussi que j'étais là et éviter de me faire écrabouiller par d'éventuels passants. Jouant sur mon téléphone, je ne remarquai pas tout de suite la silhouette qui m'approcha. Celle-ci me fit sursauter en s'asseyant à côté de moi. Je levai les yeux, c'était un garçon de mon âge probablement, assez costaud, aux cheveux courts. Dans le noir, je n'y voyais pas grand-chose, je reportai donc mon attention sur mon phone.

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