II. J'ai ressenti

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Au collège, je me sentais grande. Je me suis retrouvée avec les amies d'avant et une nouvelle bande. J'ai découvert les ragots, la jalousie, la méchanceté, les garçons, ce que ça fait de répondre à un professeur, l'envie de contrer l'autorité et de se rebeller.

Au début, j'ai été tranquille. Je n'étais pas d'un tempérament à chercher les problèmes à qui que ce soit, et je n'y voyais pas l'intérêt, mis à part attirer l'attention de tout le monde. Mais je n'ai pas vraiment eu besoin de les chercher.

Il y avait cette fille qui était hautaine, parlait très fort et employait des mots grossiers. Je ne l'aimais pas, vraiment pas. Pourtant, elle avait pleins d'amis. Elle me faisait même pitié à vouloir attirer l'attention et la reconnaissance de tous les quatrièmes. Ce qui était étonnant, c'est qu'elle était respectée. Elle était petite, menue, et elle menaçait les gens de les frapper. Pourquoi les gens l'aimaient? Pourquoi étaient-ils amis avec elle alors qu'elle les terrorisait? C'est un mystère, c'est fou ce que l'humain peut être contradictoire.

Cette année là, j'ai découvert des sensations que je n'avais jamais ressenties auparavant. Je fumais. Je m'en rapelle. C'était ridicule. Mais avec mes amies on fumait pour se donner un genre probablement. On fumait en cachette devant l'entrée du collège. Et cela m'apportait autant d'adrénaline que de faire le grand huit.

Un jour, cette fille méchante, m'a demandé une cigarette, et je lui ai donné. Les gentils sont bêtes non? Je n'avais pas compris à cette époque que j'avais signé un pacte avec le diable en personne, qui allait me faire découvrir les fins fonds de l'enfer.

Le deuxième jour, elle m'a demandé une nouvelle fois. Le troisième, elle a fait pareil. Et puis cela a continué, sans arrêt, une, deux, trois fois par jour, elle me rackettait mes cigarettes. Si je ne lui en donnais pas, elle allait me frapper, et moi je ne voulais pas de problèmes, je ne voulais pas que cela se sache. Car, enfant, j'avais peur du regard des autres, de ce que mes amies allaient penser. Finalement, elles l'ont vu, car cela ne se cache pas éternellement. Elle me harcelait tous les jours pour la même chose, elle m'insultait et me disait "t'as intérêt d'en avoir sinon je vais t'éclater la gueule". J'étais devenue un tabac libre service à ses yeux. J'avais peur d'aller au collège. Dans la cour je ne marchais pas tranquille, dans l'angoisse de la croiser au détour d'un bâtiment. J'étais toujours aux aguets.

Mes "amies"? Elles ont fait semblant de ne pas voir ce qu'il se passait. Avaient-elles besoin de mes lunettes?

Je ne comprends pas cette volonté d'ignorer le harcèlement quand il est en face de nos yeux. C'est grave, et les gens ont autant peur de le subir un jour, que d'en parler, d'employer le mot qui fait mal. Mais c'est la vérité, des gens cruels gâchent des vies chaque jour, dans l'impunité totale. Imaginez perdre un proche dans cette histoire. Comment réagiriez-vous?

Ce fût un moment pénible de ma vie, j'ai dû faire face aux choses dont on ne peux pas parler, et cette période m'a à la fois ouvert et torturé l'esprit. J'ai découvert la peur, la colère et l'angoisse, à seulement 13 ans. Et j'ai fait face à cela seule, sans demander l'aide de personne.

Je ne sais pas si c'était le hasard ou ma bonne étoile, mais la fille en question a quitté l'établissement l'année suivante, et ce fût un réel soulagement.

Cette histoire n'est pas facile à raconter, et aucun mot ne pourra la décrire entièrement de toute façon. Cela s'est passé il y a plus de 7 ans, mais je me souviens encore de cette sensation, et cela m'émeut en écrivant, car je vois tous les jours des cas similaires dans les médias. On lit, on commente, on est triste, on a pitié, mais on ne fait rien autour de nous. Au pire on écrit des articles en citant des noms, ont fait des films/reportages "basés sur des faits réels".
J'appelle ça de la "compassion par obligation". C'est à dire que l'on se sent obligé de dire que ce n'est pas bien, que c'est dangereux, que ça fait du mal. On se sent obligé de vouloir la justice mais on regarde les choses se produire encore et encore sans rien faire. Quel égoïsme.

Prenez un instant pour réfléchir. Pensez-vous être égoïste?

Moi je pense que oui. Et c'est en écrivant ses mots que je me rends compte d'une chose: je fais partie de ces personnes que je dénonce. C'est triste de faire la morale et de ne pas la respecter. Mais on est comme ça non? Nous les humains, on est contradictoires.

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⏰ Last updated: Jan 11, 2018 ⏰

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J'ai fait un pacte avec moi-mêmeWhere stories live. Discover now